Un centre spirituel jésuite à Alger

Le Centre spirituel de Ben Smen à Alger permet une expérience d’hospitalité réciproque entre chrétiens et musulmans. Récit du P. Damien de Préville sj, son directeur.

Premier étonnement, peut-être : il existe un Centre spirituel jésuite à Alger ! Ceci depuis 1945, avec une brève interruption, partielle, durant les années 90 à cause du terrorisme. Je suis à Ben Smen depuis trois ans. Quand Christian Reille a réaménagé la maison, entre 2004 et 2007, il rêvait d’en faire un centre spirituel à la fois pour les chrétiens et les musulmans.
Le bel espace de prière du sous-sol, appelé « Mambré », en témoigne : d’un côté l’icône de la Trinité au chêne de Mambré, et de l’autre un tapis de prière musulman orienté dans la direction de la « qibla » (vers la Mecque). Rien que la visite des lieux est une interpellation, pour un certain nombre de musulmans aussi bien que pour des chrétiens, de diverses confessions et spiritualités.

Un symbole fort

L’espace de prière Mambré – Côté musulman

Peu de musulmans y viennent explicitement pour prier : deux ou trois amis soufis (mystiques) viennent prendre quelques jours de « khaloua » (retraite) une ou deux fois par an. Une soirée par an, si possible en Ramadhan, nous invitons nos amis musulmans à un partage explicitement spirituel. C’est en général un temps d’où chacun ressort fortifié dans sa foi et son amitié. Enfin, pour ce qui est de l’explicitement interreligieux, nous accueillons le groupe du « Ribat Essalaam » (Le lien de la paix) qui a vocation à ce partage spirituel entre chrétiens et musulmans, et qui est né au monastère de Tibhérine il y a près de 30 ans. Tout cela additionné représente bien peu, statistiquement, dans l’activité de la maison, mais c’est un symbole fort.

Des propositions ouvertes à tous

Par ailleurs, de nombreux musulmans utilisent la maison, en particulier pour des sessions de formation humaine (PRH – Personnalité et relations humaines), et parfois pour des temps personnels. Certaines personnes refusent cette démarche d’entrer dans une maison chrétienne, ou bien en ressentent un très grand malaise au premier abord. Une fois cette étape franchie nous nous retrouvons le plus souvent en confiance. Nous avons aussi quelques propositions « ouvertes à tous » (c’est-à-dire qu’elles ne sont pas réservées aux chrétiens) dans notre programme : journées de dessin et peinture, de poterie, de théâtre, de musique et de chant, d’art floral, et même des journées pour médecins et soignants.

L’espace de prière Mambré – Côté chrétien

Ce que nous partageons dans ces journées n’a pas forcément besoin de se dire avec des mots, encore que souvent la relecture de fin de journée soit explicite : nous vivons ensemble la louange du Créateur, qui a fait de nous des créatifs, qui aime la beauté (seule une déviance intégriste de l’islam pourrait nier cela), et qui a mis aussi en nous un désir de communion entre nous et avec lui, un désir de bien faire avec une grande générosité.

Accueil et respect

Tout cela s’expérimente au quotidien, y compris avec le personnel de la maison, qui est le plus souvent d’une délicatesse et d’une discrétion très respectueuse, qui forcent notre admiration. Ils savent que nous accueillons des musulmans dont la recherche de Dieu les amène jusqu’à un changement de religion, et ils ne s’en offusquent pas. Ils se sentent respectés dans ce qu’ils sont. Ils se doutent bien que nous avons la même attitude avec les autres, en essayant de laisser le Créateur lui-même conduire sa créature de l’intérieur. Pourquoi notre accueil mettrait-il des limites à Dieu ?

Cet accueil est juste si, au moins sous forme d’hypothèse, nous ne refusons pas qu’il soit réciproque. Lorsque je visite les malades à l’hôpital, dans un cadre associatif, beaucoup me demandent si je suis musulman, parce que celui qui fait le bien ne peut être que musulman : je réponds clairement et tranquillement, mais j’essaie de recevoir cette question comme un signe d’hospitalité, même si parfois l’étroitesse d’esprit qu’elle traduit me fait souffrir. Mais la confiance des malades en Dieu au milieu des épreuves les plus graves est sans cesse un stimulant pour ma propre foi.

L’hospitalité réciproque est un défi : elle est le geste même de Dieu, par Marie, dans l’Incarnation.

Damien de Préville, sj

> Pour en savoir plus :
Le site de l’Église catholique d’Algérie


Commentaires

4 réponses à “Un centre spirituel jésuite à Alger”

  1. pelissier

    and

    Cher Monsieur,

    merci pour ce témoignage. Il serait bon que cette démarche soit également adoptée en France, où la méfiance envers les citoyens français musulmans a atteint un niveau alarmant, d’autant plus que la laïcité militante n’épargne pas non plus les citoyens de confession chrétienne, à un degré moindre.

    Compte tenu de ce constat, il serait bon que les chrétiens, a fortiori les pères jésuites, puissent s’essayer à faire passer le message de la possibilité d’une bonne entente entre chrétiens et musulmans sur le territoire métropolitain.

    Respectueuses salutations

    Julien Pélissier

    1. ROBERTPLANTES

      Bon JOUR! Damien,alors étudint, j’ai eu l’occasion de vous rencontrer à BLOMET…lorsque qu’avec les AMIS/ES de VOVRI nous venions nous « réconforter » le dimanche.Déjà nous étions « branchésEs » sur la situation des chrétiens,des frères et soeurs MUSULMANS, et là-bas et ici…Soyez remercié de ce que vous nous communiquez POUR AUJOURD’HUI…
      moniq’auxi

  2. Lafforgue Nicole

    c’est bien tant que vous offrirez :confort et loisir,mais dés que les »missionnaires » de leur Dieu leur aura donné l’ordre de vous exterminer il n’y aura plus de bons Jésuites!! lors de mon mariage à Alger plus exactement aux champs de manoeuvres avec « l’abbé Tessier  » qui n’est autre que Monseigneur à ce jour, j’avais tous mes amis et amies arabes musulmans autour de moi jusqu’au jour où ils m’ont avertie de ne plus les fréquenter ils avaient ordre de me tuer….tant mieux si le Seigneur vous aident dans votre entreprise périeuse comme celle des moines de Tibhèrine
    mais à mon avis compte tenu de ce qui se passe avec nos Frères en orient je reste très septique
    Pieuses Salutations

  3. Laurent MOYNE

    La cohabitation entre chrétiens et musulmans reste difficile. Pourtant il y a des musulmans parfaitement tolérants et accueillants envers les chrétiens. Mon voisin musulman est aussi un ami. Il faut dire qu’il n’est pas enfermé dans les rites de sa religion.
    Il m’a emmené récemment au « marché du Ramadan » à Lyon. Des amis chrétiens m’ont demandé « si je ne craignais pas pour mon portefeuille » en y allant, preuve que les peurs restent.
    Question attitude et tenue vestimentaire il y avait de tout (voile, pas de voile, barbe, visage glabre…). Je n’ai pas constaté d’animosité entre ces différents courants.
    La religion musulmane est faite d’obligations parfois discutables dont ses membres n’arrivent pas à se libérer. Dommage.
    Les intégristes sont sûrement une minorité, mais ils imposent encore souvent leur loi. Dommage…

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