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Nous fêtons le 3 décembre saint François Xavier, ce célèbre compagnon d’Ignace de Loyola. À sa surprise, alors qu’il se préparait à œuvrer comme prête à Rome, Ignace l’envoie en Orient. Il sera un missionnaire infatigable en Inde, en Indonésie, au Japon.
Pourtant, malgré tous ses efforts, il n’a pas atteint son objectif ultime : l’évangélisation de la Chine. Il n’a jamais pu entrer sur le territoire chinois, mort d’épuisement sur l’île de Shangchuan, à 14 km seulement des côtes du la Chine continentale.
François Xavier, un homme frustré devant l’échec ? Il était si proche de son but ! Eh non ! Il s’est remis dans les mains de son Maître et Seigneur, il lui a remis son projet… qui était en fait le projet de Dieu. Son rêve et ses efforts ont porté fruit car la Chine est toujours demeurée au cœur des perspectives missionnaires des jésuites. Depuis la formidable aventure de Matteo Ricci (circa 1600) jusqu’à aujourd’hui.
Saint François Xavier, patron des missions, priez pour nous et soutenez-nous dans l’épreuve.
> Pour mieux connaître la vie de François-Xavier étape après étape
> Lire des extraits des lettres de saint François Xavier adressées à saint Ignace de Loyola
> Découvrir le chant « Pèlerin des océans », en l’honneur de saint François Xavier
La vie de François Xavier
NAVARRE – PARIS LATIN – MONTMARTRE – VENISE – ROME – GOA – MOLUQUES – JAPON – SANCIAN
NAVARRE
Xavier est pour nous aujourd’hui un prénom. Or, ce n’était à l’origine qu’un nom de lieu, dont la graphie hésita longtemps (Saviero, Xabier, Xavier, etc.) pour se fixer enfin sur nos cartes touristiques en Javier. Le château fut donné au XIIIe siècle par Thibault IV, comte de Champagne, aux ancêtres de François, les Azpilcueta, en reconnaissance de leurs loyaux services. Or les Azpilcueta devaient s’éteindre avec la mère de François. A l’occasion de son mariage avec Don Juan de Jassu, ministre des finances du roi de Navarre, ce dernier transféra au père de François le nom et les armes de Xavier. Ce don s’accompagnait d’une clause: le dernier fils de Don Juan et de Maria hériterait du titre… Ce dernier fils, ce serait François! Voilà pourquoi il signait: Francis de Xavier, Francesco de Xavier, ou Francesco tout court. La célébrité a ses servitudes: notre François de Xavier devint François Xavier, et même Xavier.
Lorsque naît François, le 7 avril 1506, la Navarre est encore un royaume indépendant sur lequel règne Jean III d’Albret. Se sachant menacée par la Castille qui unifie les Espagne à son profit, la Navarre s’appuie sur la France. Or lorsque Louis XII entre en guerre avec le Pape Jules II, la Castille en profite pour envahir la Navarre (1512). Toutes les forteresses, dont Javier, sont démantelées et les terres confisquées : le père de François meurt de chagrin en 1515 et François a 10 ans lorsqu’il voit des escadrons de soldats castillans raser murs et tours de la haute demeure seigneuriale.
En 1521, les » communeros » de Castille se soulèvent contre leur suzerain, Charles Quint, un Germain. Henri d’Albret, successeur du roi Jean, croit le moment venu de libérer sa patrie ; une armée française l’appuie. Deux frères de Xavier rallient les troupes de libération. Le 24 mai, Français et Navarrais attaquent Pampelune; la ville tombe, mais la citadelle, dont un jeune gentilhomme basque, Inigo de Loyola résiste et soutient le courage. Inigo est blessé par un obus. La citadelle capitule. Inigo est reconduit au château de Loyola par des soldats français. Bientôt il se convertira, à la lecture d’une vie du Christ et de la biographie de saints. Commence alors pour lui un itinéraire mystique, dont François un jour bénéficiera. Le succès de Pampelune sera éphémère. Peu après, les Castillans infligeaient aux Français et aux Navarrais la défaite de Noain. L’expédition libératrice tourne à la déroute ; toute la Navarre au sud des Pyrénées est annexée au royaume de Castille.
De 15 ans à 18 ans, François mène une vie solitaire et monotone, et partage l’angoisse et la fierté de sa mère, dans l’attente du retour au château de ses deux frères aînés résistants jusqu’au-boutistes face à Charles Quint. Le plus gros de ses journées et surtout les longues soirées s’écoulent dans cette grande chambre, qui sert à la fois de salle à manger et de cuisine, de salle de séjour et de réception.
En sortant du château ou en y rentrant, il s’arrête dans le petit oratoire tout proche, à la chapelle San Miguel (le patron du château) où se dresse sur sa Croix le Christ au sourire douloureux et vainqueur, ce Christ que ses ancêtres ont enfoui dans la muraille au temps où les Sarrazins envahissaient la Navarre, ce Christ qui, pendant les derniers mois de sa vie missionnaire, se couvrira – dit-on – tous les vendredis, de grosses gouttes de sueur.
Que choisir à 19 ans ? L’éventail des voies possibles est étroit pour ce fils d’une famille quasiment ruinée, cadet de deux frères politiquement marqués et dont le père n’est plus là pour reconstituer la fortune. Alors quelle carrière ? Pas celle des armes évidemment. Partir pour les nouveaux mondes? Il faudrait s’aboucher avec les Espagnols honnis ou les Portugais. Restait le Droit – à la fois la célébrité de son parent, le » Docteur de Navarre « , et l’exemple de son père l’y inclineraient – et les charges ecclésiastiques. Avant de choisir définitivement, il faut d’abord passer les examens de la Faculté des Arts. Va pour les Arts ! A ces hautes études, François est préparé: il a appris déjà le latin. Vers quelle Université s’orienter ? Alcalà est célèbre, mais elle est située en Castille. Par la terre des Jassu, François ressortit à la France, et l’Université de Paris jouit en ce temps-là d’une réputation européenne : la Navarre y possède même un » collège « . Et puis pour un jeune hidalgo, ambitieux, rêveur, sensible, curieux, Paris a bien des attraits. Voici donc ce qui est décidé. C’est à Paris qu’il ferait les treize ou quinze ans d’études qui le conduiraient au fructueux diplôme de » Docteur en Théologie ».
Par prudence, François, avant de partir, se fait tonsurer, comme clerc à la cathédrale de Pampelune ; d’autant que cela ne l’engage à rien et l’exempte du service militaire et de la juridiction des tribunaux civils. François dit adieu à sa mère, à ses frères, au château démantelé, symbole de ses drames et de ses chances. Mais il est sûr de conjurer le sort qui jusqu’ici lui a été hostile. Lorsqu’il reviendra un jour à Javier, il sera docteur en droit ou en théologie: un avenir brillant lui est encore ouvert. Ainsi rêve-t-il ! Jamais François ne franchira de nouveau le pont-levis de la demeure seigneuriale. Il ne sera jamais docteur. Et pourtant si le nom de Javier figure encore sur les cartes de la région, c’est à lui qu’on le doit. François part pour un rendez-vous qu’il n’avait pas prévu.
> Pour aller plus loin :
– Un site personnel d’une généalogie familiale remontant à François-Xavier
– Le site de l’office du tourisme navarrais (en espagnol)
PARIS LATIN
Paris est en train de devenir une véritable capitale : sur la rive gauche de la Seine, le » Pays latin « , l’Université avec ses soixante collèges, et l’abbaye célèbre de Sainte-Geneviève. Entre la ville et le Pays latin, plusieurs îles, et ce qui agrée beaucoup à François – grand amateur de tir à l’arc et de saut en hauteur – son » terrain de sports « .
Paris respire à pleins poumons l’air de la Renaissance. Certes, il serait dangereux de se déclarer ouvertement favorable aux thèses de Luther, mais un parfum de fronde flotte dans l’air. Les écrits du jeune Calvin circulent sous le manteau.
François Ier, tout en faisant des processions réparatrices pour les sacrilèges commis par certains étudiants fanatiques, sait fermer les yeux. François n’est pas sans se laisser séduire. Comme pour les escapades nocturnes de ses camarades, il ne se refuse pas à ces hardiesses, mais se tient à l’écart des flammes trop ardentes.
François s’installe au collège » Sainte-Barbe « . Il partage sa chambre, dès 1525, avec un régent assez déluré – et qui mourra un jour de ses fredaines -, et un jeune Savoyard, Pierre Favre, timide, indécis, studieux autant qu’il est possible de l’être à vingt ans : le contraire de François. En 1530, les deux amis sont reçus à la licence ès arts : les portes des Facultés supérieures s’ouvrent avec, en perspective, le droit, la médecine, ou la théologie, au choix.
François opte pour la carrière ecclésiastique. Une fois docteur, il sait que les honneurs et surtout les plantureux « bénéfices » lui seront accessibles. Mais d’ici là il lui faut vivre.
Il va alors briguer une chaire de chanoine de la cathédrale de Pampelune, et, pour constituer son dossier, il est nécessaire qu’il prouve sa noblesse. Il attendra six ans.Mais alors, il nourrira d’autres ambitions…
Pour gagner un peu d’argent, il brigue, une fois sa maîtrise ès arts obtenue, une place de régent au Collège de Beauvais, mais garde, pour son logis, sa chambre de Sainte-Barbe, où Pierre Favre demeure lui aussi, ayant opté également pour la théologie.
François s’abandonne à la vie insouciante et facile de l’étudiant dont l’avenir semble assuré. Quand il rentre à Sainte-Barbe, il y retrouve son ami savoyard : avec lui, il sort parfois, et arpente le parc voisin des Chartreux (aujourd’hui le Jardin du Luxembourg et Denfert-Rochereau).
Tout irait bien entre les deux amis, s’il n’y avait entre eux cet étrange compagnon qui partage leur chambre et pour qui François n’éprouve aucune sympathie…
Il s’appelait Inigo de Loyola et à 38 ans, étudiait encore.
Tout était fait pour séparer les deux hommes. Inigo négligeait sa tenue, claudiquait, professait une orthodoxie stricte. De plus, il s’était battu à Pampelune en 1521 contre les Navarrais, peut-être même contre les frères de François, et, autre tare, il avait d’abord logé au collège de Montaigu, rival de sainte Barbe.
Enfin ne murmure-t-on pas qu’il a » détraqué » trois étudiants espagnols avec un petit livre de son cru, les Exercices Spirituels ?
1533: une année-tournant dans l’existence de ces trois compagnons : Inigo est reçu à sa licence ès arts et la sœur aînée de François meurt en odeur de sainteté.
Quant à Pierre Favre, conquis par Inigo, il part pour sa Savoie natale, afin de dire adieu à ses parents et vivre la pauvreté évangélique.
Voici donc en tête-à-tête Inigo et François. Que se passa-t-il entre eux? On l’ignore. Quoi qu’il en soit, lorsqu’en janvier 1534, Favre rentra à Paris, il trouva François aussi résolu que lui-même à suivre Inigo… Un jour, à Rome, Inigo lâchera cette confidence devant son secrétaire, Polanco: François avait été » la plus rude pâte qu’il ait maniée « .
> Pour aller plus loin :
– La paroisse Saint-François-Xavier à Paris
– L’église Saint-Ignace à Paris
MONTMARTRE
Bientôt ce sont six étudiants qui ont accepté l’appel que leur lance l’Esprit Saint à travers les conversations et l’exemple d’Inigo : un Portugais, Simon Rodriguez, deux Castillans, Jacques Laynez et Alphonse Salmeron, un Tolédan, Nicolas Bodadilla ont rejoint François et Pierre Favre. On se retrouve chez l’un ou chez l’autre; on parle de l’amour du Christ, de l’immense faim des âmes, de la crise de l’Église. Un feu les dévore : suivre le Christ pauvre, travailler avec Lui « chez les fidèles et les infidèles », se dévouer aux plus pécheurs, aux plus pauvres. Mais que faire exactement? Où aller? Longues conversations, longues délibérations. Ils cherchent.
Un premier pas leur semble s’imposer à leur générosité. Quand tous auront terminé les études requises pour être ordonnés prêtres, c’est-à-dire dans trois ans, ils partiront pour Jérusalem, » à l’apostolique « , c’est-à-dire dans la plus stricte pauvreté, sur les pas du Seigneur dont ils sont épris, et affronteront le grand ennemi de la Chrétienté, le » Turc « .
Et si quelque obstacle les empêchait de passer à Jérusalem, ils iraient, après un an d’attente, se mettre à la disposition absolue du » Vicaire du Christ « , le Pape de Rome : la terre d’obéissance serait pour eux Terre Sainte.
Et ce projet, une fois mûri, ils décident de le sceller par un vœu.
Le 15 août 1534, les sept amis montent à Montmartre.
Montmartre, en ce temps-là, est encore une banlieue rustique de Paris, des vignobles au-dessus desquels des moulins battent des ailes; une grande abbaye bénédictine coiffe la colline; à flanc de coteau, un peu en contrebas, une modeste chapelle pointe au-dessus des vignes : c’est là que la tradition situe le martyre de saint Denys et de ses compagnons.
Dans la crypte, consacrée aux martyrs, Pierre Favre, qui a été ordonné le 30 mai dernier, célèbre la Messe; au moment de la Communion, chacun s’engage devant tous à vivre toujours selon la pauvreté évangélique et dans le célibat, puis prononce le vœu de pèlerinage à Jérusalem, si patiemment mis au point au cours de leurs délibérations, et le vœu de se mettre se mettre à la disposition du Pape si Jérusalem reste inaccessible au bout d’un an.
Ils passent le reste de la journée en « conversations spirituelles « , dans le plein vent de la colline déserte. De cette cérémonie toute simple, tous resteront marqués toute leur vie. Un jour, neuf ans après la mort d’Ignace, en 1565, Simon Rodriguez écrira à Bobadilla:
» Nous qui avons eu la grâce d’aller à Montmartre… «
Sur la fin du mois d’août, ses cours de régent terminés, François fait les Exercices Spirituels. A la fin de mars 1535, Inigo part pour l’Espagne car sa santé exige une » cure d’air natal « . Le groupe de Montmartre, loin de se disloquer après le départ d’Inigo, se resserre autour de Favre, et même recrute. En 1535, Claude Jay, un prêtre savoyard; en 1536, Paschase Broët, un prêtre picard et Jean Codure, du diocèse d’Embrun. Chaque année le 15 août, on monte à Montmartre et on renouvelle le vœu de 1534.
Les dix premiers compagnons d’Ignace. François est au centre, en haut.
Avant de quitter ses compagnons, Inigo leur avait donné rendez-vous à Venise, le port d’où partaient les navires de pèlerins vers la Terre Sainte. Pour éviter la guerre entre François Ier et Charles Quint, François et ses huit compagnons font route par la Lorraine, l’Allemagne, la Suisse, le Tyrol… à pied évidemment. C’est pour François la première expérience de la route » à l’apostolique « , la route de pauvreté et de prière, du péril imprévu, mais aussi des rencontres providentielles.
> Pour aller plus loin :
– La crypte des vœux (martyrium) aujourd’hui à Montmartre
VENISE
Le 6 janvier 1537, les neuf compagnons arrivent à Venise, sains et saufs. Inigo est là qui les attend, avec une nouvelle recrue, le prêtre Diégo Hocez, qui mourra un an plus tard, exténué de charité et de pénitences.
Comme à Venise, aucun départ de navire n’est prévu pour la Terre Sainte avant juin 1537, François et ses compagnons décident de se mettre au service des pauvres et des malades des deux grands hôpitaux où ils ont pris logis.
L’hôpital Saint-Jean et Saint-Paul où allèrent les compagnons
En mars, tous, sauf Ignace, se rendent à Rome pour solliciter du Pape Paul III l’autorisation de faire le pèlerinage de Jérusalem et, pour les non-prêtres, celle de recevoir les Ordres sacrés. Paul III se montre très intéressé par ce groupe de jeunes hommes que Dieu lui envoie pour l’aider en sa réforme de l’Église. Le 24 juin, Ignace et François Xavier sont ordonnés côte à côte à Venise « au titre de la pauvreté volontaire et de la science suffisante ».
La guerre qui sévit entre Venise et les Turcs interdit tout passage en Terre Sainte.
Les compagnons se dispersent de nouveau dans les villes universitaires de l’Italie du Nord : François s’en va a Bologne – la ville où son père avait étudié le droit – en compagnie de Bobadilla. Le froid et les austérités lui valent une maladie dont il faillit mourir.
Avant de se séparer, les Compagnons tinrent » une longue délibération » pour décider ce qu’ils répondraient à qui leur demanderait leur nom :
Voyant qu’il n’y avait pas de chef parmi eux, ni d’autre supérieur que Jésus Christ qu’ils voulaient servir à l’exclusion de tout autre, il leur parut bon de s’appeler la Compagnie de Jésus.
C’est vraisemblablement à Venise que François eut ce » rêve » qu’un des compagnons, Laynez, racontera plus tard :
Une nuit, François s’éveilla en sursaut et cria à Laynez :
« Jésus, que je suis fatigué !
Savez-vous ce que je rêvais ?
J’essayais de porter un Indien sur mes épaules;
il était si lourd que je ne parvenais pas à le soulever ».
ROME
Selon le vœu de Montmartre, il était convenu que si le passage en Terre Sainte s’avérait impossible, pendant l’année qui suivrait leur départ de Paris, les Compagnons iraient à Rome
se mettre à la disposition inconditionnelle du » Vicaire du Christ » pour toute mission. En cette fin de 1537, le délai est expiré. Ils se regroupent à Rome, vers Pâques 1538.
Quelqu’un qui revit François à son arrivée à Rome, nous livre son impression :
» Il ressemblait moins à un homme vivant qu’à un cadavre ambulant… Ombre de ce qu’il avait été… J’estimai qu’il ne retrouverait jamais la santé et serait désormais incapable de fournir le travail d’une journée. »
En attendant l’audience pontificale, ils missionnent dans Rome. François, pour sa part, prêche et confesse à l’église Saint-Louis-des-Français, catéchise les enfants. Le groupe l’a choisi comme » secrétaire « . Il le restera deux ans… Lorsque il reçoit enfin les Compagnons, le Pape accepte leur oblation avec joie.
Tout de suite, on demande ces prêtres de tous côtés. Charles Quint les voudrait aux Indes espagnoles, Jean III de Portugal aux Indes portugaises; les évêques et les princes de l’Italie du Nord qui les ont vus à l’œuvre, sollicitent leur retour ; le Pape songe à les utiliser comme Nonces, comme instruments de la réforme de l’Église. Et ils ne sont que dix…
Que va-t-il advenir de leur précieux compagnonnage, dispersés qu’ils seront en tous pays de la Chrétienté et hors de la Chrétienté ? En mars 1539, ils délibèrent longuement.
Première décision : comme leur groupe a été formé et voulu par Dieu, ils doivent garder entre eux des liens étroits d’amitié.
Deuxième décision cette amitié se scellera par le vœu d’obéissance » à l’un d’entre eux « . L’étape qui vient d’être franchie est importante la Compagnie de Jésus, de groupe de libres compagnons, se transforme ainsi en Ordre Religieux.
Ce n’est que le 24 septembre 1540, que Paul III signera la Bulle Regimini militantis, qui établira dans l’Église la Compagnie de Jésus. A cette date, François aura déjà quitté Rome et sera parti vers son grand destin.
En ce début de l’année 1540, Jean III de Portugal avait obtenu du Pape que deux des Compagnons fussent affectés aux jeunes missions des Indes. Ce sont Rodriguez et Bobadilla qui sont choisis… Lui, François, restera secrétaire à Rome. Bobadilla est donc rappelé de Naples à Rome, mais il arrive dans un état de santé si délabré que son départ est impensable. François est donc désigné pour le remplacer.
Ignace racontera son départ, après la mort de François :
» Le Père, écrit-il, s’empressa de me répondre:
Me voici ! Me voici !
Puis il se retira pour empaqueter deux vieux pantalons
et une soutane indescriptible. «
En quittant Rome, François laisse trois lettres cachetées qu’il ne faudra ouvrir que si Paul III approuve enfin la Compagnie de Jésus : l’une contient sa délégation de pouvoirs aux autres Compagnons qui se réuniraient à Rome pour rédiger ou approuver les Constitutions ; la seconde, son vote (en faveur d’Ignace, ou si celui-ci venait à manquer, en faveur de Favre) pour l’élection du futur Préposé Général ; la troisième confie à Laynez le soin de faire sa profession religieuse entre les mains du futur Général.
Profession de François écrite de sa main
En mars 1540, François part avec l’ambassadeur du Portugal. En attendant le départ de la flotte pour les Indes, Rodriguez et François se livrent » aux ministères accoutumés « . Leur dévouement apostolique suscite dans Lisbonne une telle admiration étonnée que des pressions s’exercent sur le Roi pour qu’il les garde au Portugal. Le Pape sollicité remet la décision à Ignace, qui tranche à la manière de Salomon : Rodriguez, le Portugais, restera à Lisbonne, François partira pour les Indes.
Le 7 avril 1541, le jour anniversaire de la naissance de François, il embarque avec deux compagnons sur le Santiago qui emmène le nouveau vice-roi, Martin de Sousa, vers les Indes. Pour tout bagage, François emporte un vêtement chaud, son bréviaire et, curieusement, une petite anthologie de textes d’écrivains sacrés qui ne le quittera plus.
GOA
A Goa, François débarque en qualité de Nonce Apostolique. Les lettres qu’il tient de Rome lui donnent pleins pouvoirs sur les fidèles et les infidèles de l’empire colonial du Portugal.
Comme les Apôtres, François enseignera, baptisera, réconciliera, proclamera à tous, » à temps et à contre-temps » la Parole du Salut.
Sa pauvreté personnelle, ses austérités, son dévouement, sa prière, sa joie aussi, parleront aux cœurs des hommes plus encore que sa parole. Sa prédication, ce sera sa propre personne, sa vie, son exemple. Il rayonne. Il implante l’Église, laissant le soin à d’autres, derrière lui, d’organiser, de structurer, de former ces communautés. François, comme les Apôtres, est un pionnier, mais un pionnier qui » porte le poids de toutes les églises » qu’il fonde.
On a dit que sa théologie était trop sévère, et qu’il mettait trop facilement en enfer ceux qui refusaient sa prédication. Ce n’est pas tout à fait exact : un examen précis des cas et des textes montre qu’un homme sincère dans son refus, s’il vivait selon sa conscience, était fort apprécié et respecté de François et que celui-ci réservait ses sévérités pour ceux des Portugais et des païens qui, par leurs mœurs, dérogeaient, ceux-ci à la loi naturelle, ceux-là à la loi chrétienne.
On lui reprochera aussi de n’avoir pas saisi les richesses de l’hindouisme, de l’Islam, du confucianisme. C’est exact. Mais Paul, Pierre, Thomas n’avaient-ils pas jadis choisi d’annoncer de façon abrupte un Dieu crucifié et ressuscité, « folie pour les païens » ?
Goa éblouit François. Mais il ne fut pas long à perdre ses illusions. En fait, Goa était un grand port où la minorité portugaise était fort riche. L’armée du Roi Jean y maintenait un ordre impitoyable. François prend logis à l’hôpital. Sans doute prêche-t-il et confesse-t-il dans la petite église de Notre-Dame du Rosaire proche de l’hôpital. Mais aussi il parcourt les rues, la clochette à la main, pour assembler les passants. Tous les dimanches, il va retrouver les lépreux, hors de la ville.
Un établissement retient l’intérêt de son cœur : le collège Saint-Paul, dit de la Sainte-Foy. Soixante jeunes gens. indiens, cingalais, malais, malgaches, éthiopiens, cafres du Mozambique, y vivent et sont instruits aux frais du Roi Jean III. François songe à former un clergé indigène ou du moins de solides chrétiens qui porteront le Message du Christ à leurs frères de race.
Il y a sept mois que François est arrivé à Goa lorsque le vice-roi l’envoie « dans un pays où, de l’avis de tous, les perspectives sont brillantes de gagner les hommes à la foi » : la côte des Paravers au sud de l’Inde. On y accède par Cochin. François part le 20 septembre 1542 accompagné de trois clercs paravers, formés au collège de la Sainte-Foy ; ils lui serviront d’interprètes car il ignore le premier mot du difficile tamoul.
Quelque trente mille Paravers – dits » Pêcheurs de perles » – répartis en une trentaine de villages vivaient sur une bande côtière qui s’étend au Nord du Cap Comorin. Misérables parmi les plus misérables ils occupaient l’avant-dernier échelon dans la hiérarchie des castes, juste avant les parias. Pendant deux ans, François va sillonner ce pays. C’est pour eux qu’il inventa une méthode d’enseignement religieux qui lui servira en d’autres régions dont il ignorait la langue : faire traduire par des indigènes bilingues les vérités essentielles de la foi, ainsi que les prières fondamentales – au risque que ce catéchisme contint des contre-sens graves ; s’entraîner lui-même à prononcer, tant bien que mal, ces traductions ; et les dire, ou si c’était possible, les chanter devant ses auditoires, jusqu’à ce qu’ils les sachent par cœur. Sa personne, son charme, son inépuisable charité faisaient le reste.
A la fin du mois d’octobre 1543, François fait un séjour à Goa pour y chercher du renfort. C’est alors qu’il apprit que Paul III avait approuvé la Compagnie et qu’Ignace avait été élu Général…. Il fit donc sa profession solennelle en utilisant la formule dont s’étaient servis ses frères de Rome à Saint-Paul hors les Murs. Désormais, il la portera dans une petite boîte suspendue à son cou, qui contient encore une relique de l’Apôtre saint Thomas et la signature d’Ignace.
La seconde année que passa François chez les Paravers ne ressembla en rien à la première : il dut soutenir, protéger et même nourrir une de ses chrétientés persécutée et emmenée en esclavage.
Deux rajahs razzient la côte des Pêcheurs. Bientôt le pays est livré à une tuerie générale. Au-dessus de cette mêlée, François se dresse avec pour seules armes sa foi, son espérance, sa charité. Il intervient auprès des chefs, propose des trêves, paie des rançons pour libérer des prisonniers. Et quand ses Paravers traqués se réfugient sur des îlots de la côte, il organise leur ravitaillement par mer, il navigue lui-même sur de frêles embarcations.
L’un des rajahs, fauteurs de la guerre, propose à François de lui ouvrir son pays, le Travancore, une bande côtière à l’ouest du Cap Comorin. Bien qu’il s’agisse d’une tribu plus primitive encore que les Paravers, François s’y précipite. En un mois, il parcourt tout le pays : le résultat de cette mission fut surprenant pour François lui-même. Il l’écrira à Ignace de Loyola :
Quant aux nouvelles de l’Inde,
je dois vous faire part que le Seigneur,
dans le royaume où je me trouve, a invité beaucoup d’hommes
à se faire chrétiens. En un mois, j’en ai baptisé plus de dix mille.
François n’oubliera jamais ses Paravers. De Goa, du Japon, il demande des nouvelles de sa première mission ; il règle toutes choses en faveur de ces pauvres entre les pauvres. A la veille de son départ pour la Chine, il écrit à un supérieur :
Souvenez-vous toujours de la grande indigence des hommes du Cap Comorin… et combien d’enfants y meurent sans baptême, parce qu’il n’y a personne pour les baptiser.
Voici une étrange anecdote que le Père Coelho nous rapporte
dans ses souvenirs sur François
C’était son habitude chaque soir de se glisser hors de la maison, sans me gêner, et de traverser mon jardin jusqu’à la hutte qui joignait le sanctuaire du bienheureux Apôtre (St-Thomas). Il ne disait rien de ces expéditions nocturnes, mais je devinais qu’il s’y rendait pour prier et se flageller. Un jour, je lui en parlai. » Père Maître François, je vous en prie, ne marchez pas dans le jardin. Il y rôde des démons la nuit, et ils pourraient vous faire du mal. » Il en rit, mais tout de même prit ensuite avec lui un Malabar de sa connaissance, une âme simple, qu’il laissait étendu à la porte de la hutte.
Une nuit, tandis qu’il priait à l’intérieur, il commença à crier à plusieurs reprises: » Notre-Dame, vous ne m’aiderez donc pas? » et à voix si haute qu’il réveilla son gardien endormi, qui entendit alors le bruit de coups provenant de la hutte. Le lendemain matin, le Malabar me raconta ce qui s’était passé pendant la nuit… Le Père François resta prostré pendant deux jours, mais je ne pus en obtenir un mot sur l’événement.
MOLUQUES
Malacca (Singapour) est un des centres de commerce les plus actifs de l’Extrême-Orient. Ville où s’entassent pêle-mêle les races et les religions ; mais la minorité portugaise domine les autochtones de toute la puissance de ses soldats. Pendant trois mois, François s’efforce de remettre un peu d’ordre dans la communauté chrétienne elle-même, dont l’exemple est trop souvent un contre-témoignage du christianisme. Pour cela, il use de la méthode qui lui a si bien réussi à Goa : le contact direct. Il entre dans les foyers où abondent les concubines ; il ne craint pas d’aller dans les tripots, les maisons de jeux et de plaisirs. Le dimanche, il prêche, confesse dans l’église Notre-Dame-de-l’Assomption. Il n’oublie pas d’ailleurs les épaves misérables de la « cité des fleurs et des parfums » : juifs, musulmans, pauvres, malades, prisonniers.
Alors commence pour François le 1er janvier 1546, une croisière de 1740 miles à travers la mer des pirates. C’est à Amboine que débarque d’abord François. Il y trouve une « clientèle » à laquelle il ne s’attendait pas : une cargaison de marins espagnols, que les Portugais ont faits prisonniers et jetés dans les cales de huit grands navires. A ces captifs, François s’efforce d’apporter tous les secours matériels et spirituels qui sont en son pouvoir. Le 10 mai, il écrit aux Pères de Goa :
« La flotte m’a tenu en haleine du matin au soir,
écoutant un flot incessant de confessions,
visitant les malades, prêchant, confessant et réconfortant les mourants.
J’y ai passé tout mon temps pendant le carême, avant et après…
L’île d’Amboine fait environ 25 à 30 lieues de pourtour,
elle est populeuse, avec sept villages de chrétiens. »
Il reste à Amboine jusqu’à la mi-juin ; alors, une fois encore, il reprend la mer. François voudrait visiter toutes les îles de cette constellation marine. Il s’arrête ici ou là, au gré des capitaines des bateaux et selon l’humeur des vents. Ses amis l’avaient dissuadé de se lancer dans ce voyage, tant les gens de ces îles sont cruels. En vain ; il n’accepte même pas les antidotes dont on le conseille de se munir :
« Mes m’offrirent des antidotes avec des larmes, mais en les remerciant de tout mon cœur pour leur amour et leur bonté, je n’ai pas accepté leurs défensives, car je ne voulais pas me charger d’une crainte que je n’éprouvais pas, surtout rien perdre de la confiance que je fais entièrement à Dieu. »
Vers le milieu de juin 1546, il se dirige vers l’île de Ternate : la population est païenne, les Européens ont des mœurs très relâchées car Goa a pris la fâcheuse habitude d’y délester tous ses éléments indésirables.
François s’installe à l’hôpital et s’occupe des malades et des mourants. Le dimanche, il prêche aux quelques chrétiens. A Ternate, dit-on, son catéchisme eut un succès extraordinaire : les chants de François retentirent bientôt partout…
Comme aux mois d’été la population tout entière est mobilisée pour récolter les girofles, il en profite pour rédiger le seul livre qu’il ait jamais écrit : une sorte de « somme » de la doctrine chrétienne inspirée par les Exercices Spirituels d’Ignace.
Il reprend la mer pour l’île du More, et y passe trois mois. C’est là sans doute qu’il fait les rencontres les plus périlleuses de son aventureuse existence : car les autochtones sont passés maîtres dans l’art des poisons, ils collectionnent les têtes coupées et sont friands de chair humaine. Ignorant le premier mot de leur idiome, François, lorsqu’il croise l’un de ces barbares sur son chemin n’a qu’un langage : il lui sourit et il l’embrasse !
Ici comme ailleurs, François cherche à discerner parmi les quelques chrétiens de l’île, des hommes capables d’assumer la responsabilité de petites communautés.
En décembre 1546, François revient à Ternate, où il essaie de mieux organiser la communauté chrétienne. Peu après Pâques, il rejoint Amboine, puis Malacca. Une grande joie l’y attend : il y trouve trois de ses frères de la Compagnie de Jésus. Ils restent ensemble pendant un mois. François informe et forme ses trois recrues ; puis les Pères partent à leur tour vers les îles : deux d’entre eux y mourront martyrs.
« Ces îles abondent en consolations spirituelles, tous ces périls, tous ces labeurs,
si on les accepte volontiers pour le seul amour et le service de Dieu notre Seigneur, sont d’abondants trésors de grandes consolations spirituelles ;
si bien qu’en peu d’années, on perdrait la vue,
sous l’abondance des lagrimas consolativas (larmes de joie)… »
En décembre 1547, quelqu’un d’étrange surgit soudain dans l’existence de François, et va influer sur l’orientation de son apostolat : un Japonais du nom d’Anjiro. C’est un noble, appartenant peut-être à la classe des samouraïs. Il a une quarantaine d’années. Depuis cinq ans, il erre en quête d’un maître spirituel qui puisse rendre la paix à son âme, lourdement chargée de péchés de jeunesse et même d’un homicide. En 1545, Anjiro a entendu parler de François comme d’un homme de Dieu vraiment extraordinaire. En 1546, pour rencontrer François qui, lui disait-on, séjournerait à Malacca, Anjiro quitte Kagoshima, sa patrie et franchit les trois mille miles qui séparent Kagoshima de Malacca.
De ses conversations avec Anjiro, François retire une vision merveilleuse – où se mêlent l’utopie et la vérité – des « îles du Japon » :
« J’ai demandé à Anjiro si les Japonais se feraient chrétiens si je revenais avec lui dans son pays. Il me répondit que non… Mais si je satisfaisais à leurs questions et si je me conduisais de telle manière qu’ils ne trouvent rien à blâmer dans ma conduite, alors, après m’avoir connu pendant six mois, le roi, la noblesse et tous les gens de distinction se feraient chrétiens, car les Japonais, disait-il, sont entièrement guidés par la loi de la raison. »
François s’enthousiasme : il partira vers cette nouvelle terre promise.
JAPON
Avant de partir pour le Japon inconnu, François, pendant quinze mois, naviguera entre Goa et les différents postes des Indes.
A Goa, bien des tristesses l’assaillent : des deuils ont décimé ses amis ; le vice-roi Sousa a changé ; l’évêque vieillit désabusé ; des zizanies se sont glissées dans le groupe des Pères et des Frères : François doit en renvoyer l’un ou l’autre de la Compagnie de Jésus.
Le 20 mai 1548, jour de la Pentecôte, Anjiro, son serviteur et un troisième Japonais sont baptisés par l’évêque d’Albuquerque, en la cathédrale de Goa. Anjiro sous le nom de Paul de la Sainte-Foy, son serviteur sous le nom de Jean, le troisième sous le nom d’Antoine.
François prépare son départ. Il n’a malheureusement pour informateur qu’Anjiro qui ne connait guère que le petit coin du Japon où il est né et la secte bouddhiste à laquelle il appartient. Ses renseignements créent chez François un Japon de rêve : les cœurs y seraient mûrs pour accueillir la Parole de Dieu !
Le 15 avril 1549, François quittait Goa pour Malacca. Courte escale. En la fête de Saint Jean Baptiste il embarque pour le Japon sur une jonque chinoise dont le capitaine porte le surnom trop vrai de Ladrâo (le voleur). L’accompagnent : Anjiro, Jean et Antoine, le P. Cosme de Torrès et le jeune Frère Juan Fernandez. Il emporte pour le » Roi du Japon » une cargaison de cadeaux, car il songe à se présenter à lui en qualité de Nonce du Pape…
Le 15 août 1549, le Ladrâo abordait à Kagoshima.
Le projet de François est clair : se rendre le plus tôt possible » là où réside le Roi du Japon « . Le Roi, il se l’imagine omnipotent, souverain absolu, efficace, à l’image de François Ier de France ou de Jean III de Portugal.
Comment en eût-il été autrement ?
François reste dix-sept mois au Japon.
Du 15 août 1549 au mois d’octobre 1550, à Kagoshima, François loge dans la famille d’Anjiro et s’initie aux coutumes japonaises : cérémonie du thé, baguettes pour les repas, salutations, longues stations assises sur les talons et autres nouveautés. Tout se passe bien, d’abord, quoique les conversions soient bien moins nombreuses que les conversations ! François est même reçu par le daïmyo (qu’il s’obstine à nommer » le duc « ). Anjiro » traduit » le catéchisme apostolique de François. Le P. Cosme apprend (sans succès) la langue du pays, comme le Frère Fernandez (avec succès).
Alphabet japonais
Mais voici que la faveur du daïmyo se refroidit sous la poussée de bonzes bouddhistes à qui François a osé reprocher leurs vices. François, qui rêve toujours d’aller trouver le Roi, laisse Kagoshima aux soins du P. Cosme et d’Anjiro. et part pour Yamaguchi avec le Frère Fernandez et Bernard le Japonais.
Octobre-décembre 1550, François réside à Yamaguchi, ville résidence du plus puissant des daïmyos du Japon. C’est une ville de quelque dix mille maisons, d’une centaine de temples et de monastères très riches. Ici François tente sa chance : sans solliciter la permission du daïmyo, voici qu’avec ses deux compagnons il se met à prêcher » dans les rues, nous plaçant aux croisements où passent les gens « . L’échec est total.
Une semaine avant Noël, François, Fernandez et Bernard partent pour Miyako, aujourd’hui Kyoto. Miyako était déjà l’une des plus belles villes de l’Asie. Elle fut pour François le lieu de ses plus cruelles désillusions : le » Roi du Japon » a beau descendre de la déesse solaire, il n’est qu’un roi de théâtre, qui ne sort – qu’on ne sort, plus exactement – de son palais délabré que pour certaines cérémonies officielles, et lorsque l’on se présente, dans la tenue de François, aux portes de ce palais, on en est vigoureusement écarté. Autre déception : les fameuses » universités » sont en fait des monastères peuplés et riches : un gueux n’y est pas admis. François et Fernandez peuvent être les premiers Européens à pénétrer si avant dans le Japon, ils n’ont plus qu’à rebrousser chemin. En mars 155 1, les voici de retour à Yamaguchi.
François qui a compris à ses dépens qu’au Japon, un daïmyo est plus puissant en fait que » le Roi « , se décide à frapper un grand coup. Il se présente au daïmyo de Yamaguchi, non plus en pauvre itinérant, mais en grand costume d’ambassadeur du Pape et les bras chargés de cadeaux : une horloge qui sonne les heures, deux paires de lunettes, un mousquet à trois canons et même un tonnelet de vin de porto… Le daïmyo, ébloui, donna aux missionnaires toute autorisation de prêcher leur doctrine ; il mit même à leur disposition, pour se loger et recevoir, un monastère bouddhiste.
Mais en dix semaines, il ne se fit aucune conversion. Jusqu’au jour où un Japonais cracha au visage de Fernandez qui prêchait sur une place publique. Le Frère prit calmement son mouchoir de papier, essuya son visage et continua de parler… Devant cette sérénité, un des plus acharnés adversaires de François se convertit et demanda le baptême.
Quand François partit en septembre, plus de cinq cents personnes s’étaient converties. Malheureusement une révolution éclata peu après et le daïmyo périt dans l’émeute.
La renommée de François est telle en ces parages que le daïmyo du Bongo (province du Kiou-Siou) l’invite à prêcher l’Evangile sur ses terres. François part pour ce nouveau pays en août 1551. Il y reste trois mois.
Depuis deux ans, François n’a reçu aucune nouvelle d’Europe, ni même des Indes. Il décide de retourner à Malacca. Le bateau qui le porte est pris dans une terrible tempête qui le jette sur une île proche de Canton. Là, François retrouve un riche marchand de ses amis de Cochin, Diégo Pereira. Pereira lui montre une lettre clandestine provenant de Portugais tombés aux mains des Chinois et qui souffrent dans les geôles de Canton. Ces prisonniers supplient Pereira de se faire nommer ambassadeur du Portugal à la cour de Pékin pour leur venir en aide. Pour François, cette lettre est une illumination. Du rivage de Chine il rentre à Malacca sur le navire de Pereira: les deux hommes échafaudent leur plan… Et l’on atteint Malacca le 27décembre 1551.
Malacca fit à François un accueil chaleureux. Le Père Perez qui missionnait là lui remet un paquet de lettres. L’une venait d’Ignace, elle était datée du 10 octobre 1549 : Ignace nommait François » Provincial de l’Est « , c’est-à-dire de toutes les missions de la Compagnie de Jésus depuis le cap Comorin jusqu’au Japon. Depuis deux ans, François était Provincial sans le savoir !
François retourne ensuite à Goa où il trouve dans les Indes une situation fort troublée. Il en décèle aisément la source: le Père Antoine Gomez, le recteur du collège de la Sainte-Foy ; il a remplacé les élèves indigènes par des fils de familles portugaises, contre les intentions du Roi Jean.
En deux mois, François remet toutes choses en ordre : il rétablit la bonne entente des missionnaires de la Compagnie de Jésus avec le vice-roi, les autres Religieux, les Frères de la Miséricorde ; il restaure la vie religieuse des Jésuites, quitte à expulser de l’Ordre et même à renvoyer en Europe certains ferments d’indiscipline (Gomez est du nombre !); il règle au mieux les difficultés en personnel ou en ressources des différents postes ; il encourage, soutient, redonne élan et enthousiasme, même lorsqu’il doit réprimander ou punir. Sans négliger de payer de sa personne pour les prédications, les confessions, les catéchismes…
Il écrit des lettres, rédige des rapports, donne ses instructions à Barzée, le nouveau recteur de Goa, à Gonçalo Rodriguez qui peine durement à Ormuz, à Cypriano, « le satrape » de San Tomé, à d’autres encore. Comme Ignace, François a l’art de percevoir les qualités de ces » enfants terribles » de la mission !
Je termine, en priant votre sainte charité,
Père très exemplaire de mon âme,
à genoux pendant que j’écris cette lettre,
comme si j’étais en votre présence,
de me confier instamment à Dieu notre Seigneur
dans vos pieux et saints sacrifices et prières :
qu’Il me donne d’apercevoir sa très sainte volonté
dans cette vie présente, avec la grâce pour l’accomplir parfaitement.
Finale d’une lettre de François à Ignace
Cependant, avec Diégo Pereira, il prépare son départ pour la Chine. Ils se présenteront à la Cour de Pékin, lui François, en Nonce du Pape, lui Pereira, en ambassadeur du Roi du Portugal (par la grâce du vice-roi !). Les » très riches présents » ne sont pas oubliés. Pereira y dépense une fortune.
SANCIAN
17 avril 1552, berges du port de Goa
Le Santa Cruz, le navire de Diégo Pereira l’ambassadeur, appareille pour la Chine mystérieuse, avec François le Nonce à son bord. Une fois parti, François s’aperçoit qu’il a oublié à Goa ses lettres testimoniales de Nonce apostolique.
A Malacca, François a la mauvaise surprise de retrouver aux côtés du « capitan », Alvaro de Ataide de Gama, celui-là même que le vice-roi de Sousa avait fait jeter dans les cales du Coulam à Mozambique en 1542. Or Alvaro est à présent « Capitan des mers de Malacca », il dispose de l’accueil et de la sortie de tout navire.
Il s’oppose au départ du Santa Cruz, si Pereira ne démissionne pas de son titre d’ambassadeur, il refuse de reconnaître le titre de Nonce de François qui ne pouvait exhiber ses lettres testimoniales, impose au Santa Cruz un équipage de son choix et exige que les présents préparés pour le « Roi de Chine » soient déchargés à quai, et même la « chapelle pontificale » dont François s’était munie.
Il faut bien en passer par ces exigences du « capitan ». Cet épisode malencontreux a du moins un avantage. Il permet de surprendre François dévoré par une sainte colère d’apôtre : il écrit à Goa lettre sur lettre afin que l’évêque fulmine l’excommunication contre Alvaro de Gama « pour avoir empêché un voyage de si grand prix pour Dieu et notre sainte foi »; il demande qu’on informe de la situation le Roi Jean à Lisbonne, afin qu’il châtie sévèrement le capitan » félon !
Le projet d’ambassade était ruiné. François écrira : « Je me rends sur ces rivages au large de Canton, privé de tout secours humain, mais dans l’espoir qu’un maure ou un païen me conduira sur la terre ferme de Chine. » François envisage le pire : faire affaire avec l’un de ces contrebandiers ou pirates qui, au péril de leur vie, trafiquaient clandestinement entre les navires étrangers et les côtes de Chine.
Au début de septembre 1552, le Santa Cruz atteignait l’île de Schangschwan, également appelée, selon l’usage français, Sancian, sise à dix kilomètres des rivages de Chine, à deux cents au S-O. de Hongkong. François n’avait plus avec lui qu’un jésuite étudiant, Alvaro Ferreira, un Chinois Antonio et un domestique malabar Christophe.
Les quelques Portugais qui faisaient escale alors à Sancian accueillirent François avec joie. Ils lui construisirent une hutte de bois coiffée de paille et une petite chapelle de branchages. François commença aussitôt à s’occuper des enfants et des malades, à prêcher, catéchiser, confesser. Il écrit à ses amis d’Europe et des Indes. Cependant qu’il cherche à prendre contact avec quelque « passeur » chinois qui le mènerait clandestinement à Canton. En voici un précisément qui accepte de courir le risque pour deux mille livres : l’argent touché, il disparaît… C’est que l’accès des rivages de Chine est sévèrement interdit; quiconque s’aventure à braver cette défense est voué, s’il est pris, non pas à une mort prompte, mais à d’interminables tortures.
Ferreira, étudiant jésuite, tremble à la pensée des geôles de Canton : François le renvoie de la Compagnie de Jésus ; Christophe le Malabar s’apprête à déserter au premier signe de danger… Seul reste auprès de François le jeune Antonio, ce fils de la Chine, fidèle comme un fils. Un à un, les navires des marchands quittent Sancian avant l’hiver. Vers la mi-novembre, l’un d’eux emporte à Malacca une lettre heureuse de François : il a trouvé enfin un Chinois qui lui a promis, pour 350 cruzados de poivre, de le transporter à Canton. 350 cruzados de poivre, c’est une fortune ! Mais rien n’est trop cher pour aller aider les prisonniers de Canton et surtout annoncer en Chine l’Evangile du Seigneur. Chaque jour, François guette le retour de son passeur: il ne reparaîtra pas.
C’est alors que François lance son prodigieux défi :
« Au cas où notre homme ne viendrait pas et aurait changé par crainte du risque, j’irai au Siam et de là à Canton avec la flotte que le Roi de Siam envoie à Canton. Et si avant un an je ne peux pas aller par le Siam, j’irai par l’Inde. J’ai grande espérance d’aller en Chine… Quelle grande gloire pour Dieu si par le moyen d’un être aussi vil que moi, cette vaste opposition du diable n’aboutissait à rien ! »
21 novembre 1552, François célèbre sa dernière Messe, une messe des morts pour un contrebandier de l’île. L’office terminé, il se sent défaillir. Antoine le conduit au Santa Cruz qui est toujours là, le capitaine n’osant repartir pour Malacca sans François. Mais le roulis du navire le fatigue, on le ramène à terre. Un marchand portugais qui s’apprête à partir lui fait une saignée. François s’évanouit.
Voici le récit de l’unique témoin de ces derniers jours de François par le fidèle Antoine :
Le 3 décembre 1552, François avait quarante-six ans.
» La saignée fut suivie d’une si grande nausée, qu’il fut incapable d’avaler quelque chose… Il supportait le tout avec grande patience. Son esprit alors se mit à vagabonder, et, dans son délire, des mots, incohérents en apparence, prouvaient qu’il pensait à ses frères de la Compagnie de Jésus… Les yeux levés au ciel, et, avec une attitude très joyeuse, il tint à haute voix de longs colloques avec Notre Seigneur, dans les différentes langues qu’il connaissait. Ce jour-là, il perdit l’usage de la parole, et resta silencieux pendant trois jours, jusque vers le jeudi à midi. Pendant tout ce temps, il ne reconnaissait personne et ne mangeait plus rien. Jeudi vers midi, il reprit ses sens, mais ne parla que pour invoquer la Sainte Trinité, Père, Fils et Saint Esprit, l’une de ses plus tendres dévotions. Il reprit ces paroles Jésus, « Fils de David, ayez pitié de moi » ; il s’exclama à plusieurs reprises « O Vierge, Mère de Dieu, souvenez-vous de moi »… Il eut sur les lèvres ces invocations et d’autres du même genre toute la nuit du vendredi, jusqu’à l’aube du samedi, quand je compris qu’il se mourait ; je plaçai une petite chandelle dans sa main ; alors avec le nom de Jésus sur les lèvres, il rendit son âme à son Créateur et Seigneur, avec grand repos et paix. »
L’île de Sancian aujourd’hui.
Au fond, une chapelle indique le lieu où est mort François.
Antoine et deux mulâtres ensevelirent le corps dans un coffre où ils déversèrent de la chaux, puis ils le déposèrent dans la terre. Quand le Santa Cruz leva l’ancre, en février 1553, il emportait à son bord le corps – intact – de François.
Le 22 mars Malacca reçut avec de grands honneurs la précieuse relique. Pereira était à Goa quand il apprit la mort de son grand ami. Il vint à Malacca, un peu après le 15 avril 1553 et enleva clandestinement le corps. Il le déposa dans sa maison, et le 11 décembre enfin, la dépouille mortelle de François reprit la mer une dernière fois.
Le bateau eut à subir ouragans et tempêtes ; à plusieurs reprises il faillit échouer. On atteignit enfin Goa.
La ville entière – « fidèles et infidèles », selon la formule du vœu de Montmartre – était au port pour accueillir celui qui, dans le silence et la solitude, avait vécu et était mort pour révéler aux terres nouvelles l’amour du Christ.
François-Xavier fut canonisé le 12 mars 1622,
en même temps qu’Ignace de Loyola.
Ni la vie, ni la mort n’avaient pu les séparer.
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En savoir + sur saint François-Xavier
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