Problèmes de vie spirituelle, du P. Yves de Montcheuil sj

Nourrie de la spiritualité ignatienne, et invitant à vivre en liberté le choix de la foi, la démarche du P. de Montcheuil sj, reste toujours d’actualité. 

Elle témoigne de ce christianisme d’incarnation qui manque tant à notre époque. En quelques paragraphes, il nous livre l’essentiel de la vie spirituelle.

Nous gardons, pour lire ces textes de Yves de Montcheuil, notre ligne directrice de « parcours de la foi » ou « vivre la foi ».

« Le P. Yves de Montcheuil, jésuite, théologien, est parti en 1944 rejoindre le maquis du Vercors pour « être avec » les jeunes qui le demandaient. Cela lui a coûté la vie. Son livre a eu une grande influence sur la jeunesse de l’après-guerre. »

Bernard Sesboüé, auteur de Yves de Montcheuil (1900-1944), Précurseur en théologie, Cogitatio fidei, Cerf, Paris, 2006

Nous gardons, pour lire ces textes de Yves de Montcheuil, notre ligne directrice de « parcours de la foi » ou « vivre la foi ». « Le P. Yves de Montcheuil, jésuite, théologien, est parti en 1944 rejoindre le maquis du Vercors pour « être avec » les jeunes qui le demandaient. Cela lui a coûté la vie. Son livre a eu une grande influence sur la jeunesse de l’après-guerre. » (Bernard Sesboüé, auteur de Yves de Montcheuil (1900-1944), Précurseur en théologie, Cogitatio fidei, Cerf, Paris, 2006)

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Appelés à un apostolat…

« L’Eglise ne les (les catholiques) appelle pas à une propagande sur le terrain religieux mais à un apostolat.

Qu’est-ce à dire ? Il ne s’agit pas d’augmenter le nombre des adhérents à l’Eglise, de recruter des militants nombreux et des masses imposantes pour ses mouvements, d’organiser des manifestations grandioses, mais de faire accéder les hommes à la vie chrétienne ou de les aider à y pénétrer davantage, d’obtenir qu’ils commencent à se donner à Dieu ou qu’ils se donnent à lui plus profondément. C’est vers ce but que tout converge. Des institutions chrétiennes n’ont de sens et de valeur que comme soutien et comme expression d’une vie chrétienne : autrement elles ne sont que des cadres vides. La foi et la pratique religieuse n’ont de sens que par cette vie, comme sa condition et son aliment, autrement elles ne sont qu’un formalisme. Avoir le sens de l’apostolat spirituel, disons simplement de l’apostolat, car sans cela il n’est plus que la caricature de lui-même, c’est ne jamais oublier que rien n’est fait tant que l’on n’a pas obtenu ce don personnel de l’être à Dieu. On peut être apôtre de bien des façons, et même par des activités qui semblent n’avoir qu’un rapport lointain avec le résultat cherché, mais à condition de ne jamais perdre de vue le but véritable. » (p. 40)

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Le désir de l’apostolat

« Le vrai désir de l’apostolat est la conséquence, ou mieux, l’expression de notre être chrétien, de notre vie chrétienne. Or, nous le savons bien, celle-ci ne vient pas de nous, elle n’a pas son origine en nous ; elle n’est pas tirée de nous par Dieu comme l’éducateur tire de l’enfant ce qui est en lui, mais dont il n’a pas encore conscience et qui resterait enfoui sans cette intervention extérieure. Il nous faut une renaissance d’en haut, comme l’enseigne Notre-Seigneur à Nicodème. C’est la vie de Dieu qui nous est communiquée par le Christ dans l’Eglise.

C’est de là qu’il faut partir pour comprendre l’apostolat. […] Notre désir d’apostolat n’est donc pas une petite chose individuelle, née en nous, venant de nous, et qui se développerait entre nous et celui ou ceux que nous voudrions atteindre. Tant qu’il n’est que cela, il n’est pas le désir d’un apostolat spirituel. Il doit être l’écho, la participation en nous de cette immense aspiration de l’Eglise à devenir pleinement catholique, à réaliser son essence, à égaler son action à la puissance de vie dont elle se sent animée. C’est pourquoi le désir de l’apostolat est inséparable de la vie chrétienne. » (p. 66)

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Vie chrétienne, charité parfaite …

« Que la perfection soit obligatoire pour tout chrétien, il suffit pour s’en convaincre d’ouvrir l’Evangile. Le premier commandement, c’est : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toutes tes forces. » (Mat. 22, 37). Et dans le discours sur la montagne, la charte du christianisme, qui s’adresse à tout chrétien, l’idéal est ainsi fixé : « Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait. » (Mat. 5, 48). Impossible de fixer un plus haut idéal.

Ceci n’implique pas cependant, comme conséquence, que tout chrétien soit tenu ici et maintenant à la pratique du plus parfait sous peine de commettre un péché grave et de perdre la grâce. Comme disent les théologiens, le précepte de la charité parfaite, ou de la perfection, oblige à la manière d’une fin. Cela veut dire que tout chrétien est obligé de marcher vers la perfection, en d’autres termes, de tendre à une pratique de la charité plus parfaite que celle à laquelle il est arrivé. Il est essentiel à la vie chrétienne d’être toujours, si l’on peut dire en état de progrès.

Il y a donc, au sommet de tout, le « Précepte » de la Charité, qui n’est autre que la perfection, l’imitation parfaite de Dieu. » (p. 80)

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Dieu appelle tout homme…

« En effet, tout membre de l’Eglise, aussi bien les fidèles que ceux qui font partie de la hiérarchie, ceux qui mènent la vie laïque comme ceux qui ont adopté une des formes de la vie religieuse, a une vocation divine. Tous ont été appelés à venir s’agréger à l’Eglise. On doit dire qu’ils ont été choisis, mais en insistant dans l’emploi de ce terme sur l’idée de prévenance, non sur l’idée de discrimination ou d’exclusion par rapport à d’autres. Les doctrines de la grâce et de la prédestination, où l’on ne voit trop souvent que des mystères redoutables, donnent à tout chrétien l’assurance qu’il est l’objet d’un amour direct et personnel. Dieu n’est pas le simple témoin ou le juge d’efforts qu’il couronne. Il n’est pas le distributeur de grâces générales, il est celui qui appelle tout fidèle par son nom et l’attire au Fils : « Nul ne peut venir à moi, si le Père ne l’attire. » (Jean, 6, 44).

Cette vocation à l’Eglise se termine par une vocation dans l’Eglise. C’est qu’en effet nous sommes appelés à former un corps qui est l’Eglise même, dont tous les membres ont des fonctions différentes, mais complémentaires… » (p. 93)

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Incorporé au Christ…

« Etre incorporé au Christ, cela veut dire vivre de la vie du Christ. Nous ne pouvons malheureusement pas répéter avec le même profondeur de vérité que saint Paul : « Ce n’est pas moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi » (Gal. 2, 25). Mais la chose est déjà vraie de nous dans toute la mesure où nous vivons de la grâce, dans toute la mesure où c’est elle qui inspire nos pensées et nos actions, qui commande non seulement nos actes extérieurs, mais l’attitude intérieure avec laquelle nous les accomplissons.

Le premier travail, le travail fondamental de notre vie chrétienne, c’est de nous laisser guider en tout par l’Esprit du Christ.

Ce n’est pas une tension de nous-mêmes qui nous est demandée, mais un abandon qui n’a rien du reste d’une paresse ou d’une passivité, au sens où l’on emploie généralement ce mot. Il y a des forces égoïstes et troubles qui s’agitent en nous et c’est à elles que la capitulation de la volonté livre l’âme. Mais il ne s’agit pas de nous conduire, mais d’être conduits par le Christ. » (p. 113)

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S’engager sans conditions…

«Il s’agit de la nécessité de se tenir prêt aux transformations intérieures produites par l’action même une fois accomplie, et d’être fidèle à s’engager encore dans de nouvelles perspectives qui par là se trouvent ouvertes. Cette nécessité, pour qui veut s’y soumettre, entraîne une nouvelle manière d’envisager sa vie, son avenir, le mouvement auquel il prend part, les projets qu’il forme, les programmes qu’il esquisse au départ…

Comment se fera cette transformation intérieure, comment s’ouvriront devant nous ces nouvelles perspectives ? C’est notre fidélité même à notre engagement qui les fera apparaître. Car elle nous rend peu à peu capables de voir ce qui nous était auparavant invisible et par là même elle nous oblige à de nouveaux progrès. En effet, ce n’est pas assez de dire que nos actes nous suivent. Il faut dire que nos actes nous changent…

Avant de s’engager dans une entreprise, il faut réfléchir, pour voir si l’on est vraiment décidé à la mener jusqu’au bout. Ici, il s’agit de savoir si nous sommes prêts à accepter les nouvelles exigences de Dieu à mesure qu’elles se révèleront…

D’où que nous venions, il n’y a pas d’approfondissement sérieux qui n’aboutisse à nous mettre en une contradiction douloureuse avec notre milieu, avec des êtres aimés. C’est la marque des âmes fortes et généreuses de ne pas refuser la lumière qui blesse au plus intime, de ne pas se rétracter pour échapper à la souffrance. C’est la marque des âmes délicates de savoir prendre sans brutalité l’attitude que dicte l’exigence de la fidélité, de garder intact l’attachement du cœur, quelle que soit par ailleurs la profondeur des divergences. » (p. 121)

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Détachement et attachements…

« Un des problèmes fondamentaux de la vie spirituelle est celui de la conciliation du détachement absolu par rapport à tout ce qui n’est pas Dieu et de l’attachement sincère à tout ce qu’il y a de bon dans l’humanité ; du dépouillement, bien plus, de l’anéantissement exigé de tout chrétien à l’imitation du Christ, et de la conservation et du développement de tout ce qui fait la valeur de l’homme…

Ce qu’il faut retenir ici c’est que le Christ n’est que par l’assomption d’une humanité. Nous diviniser, c’est, pour nous, reproduire en nous la forme du Christ : ce qui suppose que nous maintenions jusque dans cette divinisation l’existence du sujet humain qui s’unit au Christ ainsi que le Christ Dieu-homme par lequel nous sommes unis à Dieu…

Après avoir fait naître en soi ce désir de mort [détachement], il faut revenir à la vie et se livrer avec le plus de simplicité possible à ces tendances que d’un mot plein d’équivoque, on appelle naturelles. Elles ne sont plus alors les mêmes qu’auparavant ; elles ont subi un commencement de spiritualisation. Elles existent toujours : tout ce qui est humain ne cesse de nous attirer, mais elles sont en voie de se diviniser. Nous commençons à aimer le monde en Dieu… »

Yves de Montcheuil renvoie ici à saint Ignace de Loyola et à saint Jean de la Croix pour trouver un équilibre réel entre détachement et attachements. « Il ne faut pas croire qu’il n’y ait de réel que ce qui est matériel et se traduit par un geste dans l’espace. On a raison d’opposer le renoncement effectif qui se traduit par un acte à celui qui ne consiste qu’en paroles. Mais un désir spirituel est aussi réel qu’un acte et ne doit pas être confondu avec une velléité sous prétexte qu’il ne s’inscrit pas visiblement dans le monde matériel. A ce point de vue, il ne faut pas trop pousser la distinction entre amour effectif (celui qui aboutit à un acte visible) et amour affectif (celui qui reste intérieur) ». (p. 133-144)

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Épanouissement et vie chrétienne…

Le désir de s’épanouir est un désir tout a fait normal en nous. « Seulement, avec cela tout n’est pas dit. Loin de là, car ce qui est d’origine divine, c’est le désir de l’épanouissement véritable, de l’épanouissement de ce qu’il y a de bon en nous, de ce que Dieu y a mis, de notre vraie nature. Or, tout en nous ne vient pas de Dieu. Parce que nous sommes riches, nous sommes des êtres complexes, pleins d’une multitude de désirs et d’attraits… Nous avons cette malheureuse capacité de mettre notre joie dans le mal, dans la satisfaction égoïste, faussant ainsi le sens de notre épanouissement par le motif qui le commande et l’anime… Pour savoir ce qu’est le véritable épanouissement, nous ne pouvons pas nous fier à nos propres lumières. Ce qui nous attire comme le moyen de nous enrichir peut être jugé du point de vue divin, donc être dans la réalité des choses, un appauvrissement. Ce qui nous répugne comme devant nous appauvrir, nous diminuer, nous mutiler, peut être une condition d’accès à l’être véritable. Qui de nous, laissé à lui-même, aurait formulé le précepte du Christ : « Si ton œil te scandalise, arrache-le et jette-le loin de toi » (Matt. 18, 9) ? Cependant, il nous est donné par Celui qui est venu pour que nous ayons la vie et que nous l’ayons surabondante, par Celui qui seul nous apporte le véritable épanouissement… Dans ce problème de l’épanouissement, nous trouvons donc le mystère fondamental de la vie chrétienne, celui de la mort et de la résurrection, dans l’atmosphère de la grâce… ». (p. 148)

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Qu’est l’ascèse chrétienne ?

Après avoir évoqué les multiples dimensions de l’ascèse chrétienne, Yves de Montcheuil la relie à, pourrait-on dire, la disposition à la Charité. « On jouira de plus de liberté pour se faire tout à tous. On pourra désormais se servir du monde sans risquer de s’y engluer. Rien n’est beau et attirant comme cette souveraine liberté du saint qui, pour la gloire de Dieu et le bien de ses frères, use sans contrainte et sans être captif de cette création où nous nous enlisons. Ce sont les prémisses de la vie ressuscitée. C’est là un état que le chrétien doit viser, car il le met dans sa vraie situation en  face du monde ; et l’apôtre a fortiori, car il multiplie ses possibilités d’action.

Enfin, plus la charité envahit l’âme, plus, à la recherche des renoncements pour corriger les déviations, se superpose, se substitue l’amour de la Croix parce qu’elle est le lieu par excellence de l’union au Christ en ce monde. On n’accepte plus la souffrance parce que contenue dans l’exercice pénible qui forge à la Charité son instrument, mais on l’aime et on l’embrasse dans toute la mesure où on le peut sans détriment pour son devoir, parce qu’elle unit au Christ, parce qu’elle fait pénétrer dans la vie de la Trinité dont la configuration au Christ  crucifié est la seule voie d’accès. Dans ce qu’a de pénible l’exercice de l’ascèse, on peut, on doit déjà mettre quelques chose de cette inspiration. Mais dans la mesure même où cet amour de la croix dicte l’attitude en face de la souffrance, l’ascèse est dépassée et l’âme est entrée dans une voie plus haute. » (p. 166)

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Travail et vie chrétienne…

Yves de Montcheuil montre comment le christianisme a abandonné la hiérarchie « homme libre, esclave » pour introduire avec saint Paul l’ordre des « fonctions ». Tout homme est un homme libre qui doit remplir une fonction comme membre d’un même corps. « Notre Seigneur a donné l’exemple d’une vie de charité pour nous apprendre que la charité devait tout inspirer. Il a voulu incarner sa vie de charité dans une vie de travail manuel, parce que c’étaient là que les hommes étaient le plus tentés de mépriser et qu’il fallait leur montrer au contraire que, sous cette forme de collaboration au progrès humain, il y avait place pour une valeur aussi grande que sous n’importe quelle autre forme de collaboration. Suivant sa méthode, Notre Seigneur établit par l’exemple la vérité que saint Paul exprimera lorsque, à l’idée païenne d’une « hiérarchie » d’occupations, les unes partage des hommes libres, les autres lot des esclaves ou de la foule méprisée, il substituera l’idée chrétienne de fonctions diverses mais toutes nécessaires à la vie et à la santé du corps entier. Il faut qu’il y ait des titulaires des fonctions de direction et des fonctions de recherche d’ordre plus intellectuel…, et des fonctions de travail plus matériel. La chose est inévitable. Mais ce qui constitue un désordre, c’est de considérer ces travailleurs comme humainement inférieurs et leurs occupations comme « basses » ou simplement « moins honorables ».

Il faut montrer que le travailleur manuel peut, non pas malgré ses occupations, mais par ses occupations mêmes, servir le progrès spirituel de l’humanité. » (p. 171)

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Vers un humanisme chrétien…

« Peut-on vraiment parler d’un humanisme chrétien dans la perspective de la doctrine catholique ? Sans aucun doute. Non seulement on le peut, mais on le doit. Parce que l’homme est de Dieu, aussi bien que le chrétien. Bien plus, parce que, en créant l’homme, Dieu préparait le chrétien. Etre chrétien, c’est sans doute être tout autre chose que simplement homme. On est chrétien lorsqu’on répond à l’appel de Dieu qui nous a invités par bonté à participer à la vie de son ineffable Trinité. Mais cet appel s’adresse à un homme, qui doit pour y répondre se dépasser, et non se renier… L’Eglise maintient que le Rédempteur du monde en (nature et homme) était le créateur. La création est non seulement une œuvre bonne, mais une œuvre divine, et, à ce titre, plus on est chrétien, plus on aime ce que Dieu même a créé et trouvé bon. Tout ce qui est développement authentique de la création, particulièrement l’homme qui en est le centre, est bon et proclame la grandeur et la bonté de Dieu. Rappelons à ce propos le mot profond de saint Irénée : « La gloire de Dieu, c’est l’homme vivant » (Contre les hérésies, IV, 20, 7) Cela est vrai de la vie dans toute son ampleur surnaturelle, mais aussi et d’abord de la vie naturelle… » (p. 179, 180)

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De l’art…

« L’art goûté pour lui-même nous permet, même aux moments de détente de l’activité, de rester à un niveau très élevé de spiritualité humaine.

Par son caractère désintéressé, l’art nous révèle un monde qui n’est pas soumis à la règle de l’utilité, où le plaisir goûté ne suppose pas une appropriation qui arrache aux autres le moyen d’y participer : l’œuvre s’offre à tous et chacun la fait sienne sans l’enlever à personne. L’art nous révèle les conditions d’un univers vraiment humain et nous donne le sens d’une joie spirituelle. Il nous aide à mieux sentir les tares de notre monde et la bassesse des satisfactions qui trop souvent nous suffisent. » (p.192)

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Vérité et charité…

« Il est bien vrai que la charité est la fin et la raison d’être de tout dans l’Eglise catholique. L’importance de la foi lui vient précisément de son rapport à la charité. Disons d’un mot qu’elle la nourrit et la dirige. Comme le rappelle saint Jean (Ire Ep., IV,9), notre charité est une réponse à l’amour de Dieu qui s’est manifesté par l’Incarnation, et de cette manifestation de l’Amour nous remontons à l’Amour lui-même, à l’Amour vivant qu’est la Trinité. C’est la méditation du dogme chrétien, de la vérité chrétienne sur la vie intime de Dieu et sur son épanchement au-dehors, qui a nourri dans l’Eglise cette flamme de la charité dont le rayonnement atteint même des incroyants. Sans la pénétration du mystère de Dieu révélé à notre foi, cette flamme n’aurait pas jailli dans les cœurs chrétiens. C’est donc toujours dans la méditation religieuse de la Trinité, de l’Incarnation et de la Rédemption, que nous pouvons et devons puiser une charité toujours plus ardente. L’espérance et la crainte libèrent en nous la place pour la charité. Enfin les sacrements auxquels la foi nous donne accès et dont elle nous fait comprendre la valeur sont encore les sources vivantes de la charité du chrétien. » (p. 198)

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La place de la Vierge Marie…

« Il faut pour comprendre la place de Marie pénétrer dans sa vie au-delà des apparences immédiates. La manière dont l’Eglise en qualifie les scènes exprime suffisamment cette requête. Le chrétien qui récite son rosaire n’a-t-il pas pensé à ce qu’il y a de déconcertant pour celui qui regarde du dehors dans ce fait que non seulement les événements de la vie du Christ, mais ceux de la vie de Marie, sont appelés des mystères ? Car ce terme de mystère n’évoque-t-il pas quelque chose d’obscur, de déroutant pour notre intelligence et d’impénétrable à notre raison ? Comment donc peut-il convenir à des scènes dont beaucoup sont si simples et si familières d’apparence ? Cependant, si l’on s’abandonnait à un tel étonnement, c’est qu’on se ferait une fausse idée du mystère dans la religion chrétienne et qu’on manquerait de pénétration dans l’intelligence des scènes de la vie de Marie. C’est effet une erreur de perspective que de définir le mystère par l’inintelligible, et on ne corrige pas cette erreur en ajoutant qu’il est cependant le non-contradictoire. Si par là on le distingue de l’absurde, on ne le rétablit pas pour autant dans sa véritable fonction.

Le mystère est d’abord quelque chose qui est en rapport avec le plan de Dieu sur l’humanité, soit qu’il en désigne le terme ou qu’il vise ses moyens de réalisation… C’est pourquoi un événement visible et tangible, usité au niveau de notre vie commune, peut avoir une valeur de mystère. Il suffit qu’en lui prenne corps, s’exprime et par là se rende accessible, c’est-à-dire se révèle, quelque chose des desseins divins, quelque chose de la profondeur de Dieu et de son amour. » (p.208)

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Vie chrétienne et action temporelle…

«La vie humaine jusque sur le plan temporel est essentiellement rapport de personnes : et tout le développement de l’ordre temporel, toute son organisation ont pour raison d’être de rendre ce rapport possible, de le soutenir, de lui donner son vrai caractère. Or le chrétien reçoit de son christianisme un idéal de communion universelle entre les personnes, car la communion de chaque homme avec Dieu implique la communion des hommes en Dieu. Dieu ne peut pour ainsi dire être possédé par chacun pour son propre compte, mais en commun. Cet idéal n’est réalisable que dans l’au-delà, aussi bien quant à l’extension qu’à l’intimité de cette communion. Mais il doit commencer à s’incarner ici-bas, et ce commencement a une valeur, non pas seulement comme moyen de la réalisation future, mais comme son ébauche. La communion des personnes au cours du développement temporel ne peut être qu’une image toujours perfectible, mais essentiellement inachevable. Le caractère successif et irréversible du temps, qui empêche le commerce réel des hommes du présent avec les générations passées, suffirait à le montrer. La séparation introduite par l’espace qui ne laisse surmonter que difficilement et partiellement, les difficultés de toute nature comme la différence des langues, les oppositions des tempéraments, de caractères, etc., qui ne peuvent être entièrement abolies, le confirment encore. Telle quelle, cette œuvre à réaliser dans le temps, la communion des personnes, a bien une valeur propre. Elle n’est pas seulement un moyen voulu pour autre chose ; elle a du prix par elle-même, quoique sa réalisation possible ne puisse jamais suffire à combler l’aspiration qui est à son principe, l’homme n’atteignant jamais ici-bas l’intimité parfaite avec Dieu ni l’intimité parfaite avec tous se frères…

Nous le voyons maintenant, le christianisme, bien qu’il tende à une révélation qui transcende le temporel, est jusque dans l’ordre humain un ferment d’une énergie inégalée… » (p.224)

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