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À l’occasion des 50 ans du centre spirituel La Pairelle, le P. François Boëdec sj, Provincial d’Europe occidentale franchophone, a prononcé l’homélie lors de la messe présidée par Mgr Pierre Warin.
Frères et sœurs, chers amis,
Quelle joie d’être ensemble ce matin, nombreux, dans la diversité de tous ceux qui aiment et font vivre ce lieu de la Pairelle, avec beaucoup de membres de la Famille ignatienne, réunis autour de la Parole et du Pain de Vie.
Nous connaissons bien cette scène évangélique qui nous est familière. Cette sorte de pique-nique géant d’une foule réunie par Jésus, une foule qui ressemble peut-être un peu à la nôtre – même si nous serons légèrement moins nombreux (!) -, quand, tout à l’heure, nous partagerons le repas de fête. Mais nous savons qu’il y a là beaucoup plus qu’un moment qui fut sûrement agréable et convivial au bord du lac.
Les premières communautés chrétiennes, vous le savez, ont d’ailleurs beaucoup médité sur le miracle des pains, largement raconté par les évangélistes qui ont accordé à ce moment une place privilégiée dans leurs évangiles. Ils ont vu en effet dans ce qu’a fait alors Jésus un événement symbolique important de toute sa mission. On peut dire en effet que le geste de Jésus regarde à la fois vers le passé, vers le présent et vers l’avenir. Contemplons la scène si vous le voulez bien, dans cette perspective, ce qui est particulièrement précieux quand on fête un anniversaire, comme aujourd’hui pour le Centre de la Pairelle, et ainsi repérer en filigranes, à frais nouveaux, ce qu’est le projet du Centre.
Le geste de Jésus regarde à la fois vers le passé, car évidemment il rappelle le don de la manne dont le peuple juif a bénéficié gratuitement dans sa traversée du désert. Et puis, pour les premiers chrétiens qui connaissaient la tradition juive, la mention des corbeilles pleines de restes leur fait sûrement penser au miracle du prophète Elisée, rapporté au second livre des Rois, qui déjà multiplie le pain pour nourrir un groupe d’une centaine de personnes. Jésus s’inscrit bien dans cette histoire sainte de la providence inlassable de Dieu pour son peuple tout au long de son histoire, d’un Dieu qui se laisse toucher par ce que vit son peuple : « j’ai vu la misère de mon peuple », avons-nous entendu dans la première lecture.
Dans l’évangile de Mathieu qui raconte le même épisode de la multiplication des pains, il est dit que Jésus est lui-même « saisi de compassion » envers cette « grande foule de gens ». Jésus qui aspirait peut-être à se retirer après la mort de son cousin Jean-Baptiste, Jésus qui désirait peut-être également faire le point sur son action, prier seul, le voici de nouveau rejoint, rattrapé. D’abord par les Apôtres de retour de mission, avides sûrement de pouvoir relire avec lui ce qu’ils ont vécu, mais aussi happé par les foules, qui sans doute ne savent pas très bien ce qu’elles attendent de lui, affamées peut-être de paroles pleines d’espoir, de sens à leur vie, mais plus sûrement de guérisons et de miracles. Jésus le sait bien. Depuis des mois, il parlait dans les synagogues et en plein air, mais ses guérisons avaient finalement plus de succès que son message. A Nazareth même, son village natal, ses compatriotes l’avaient pratiquement rejeté. Jésus fait la cruelle expérience qu’on ne le suit pas, qu’on attend de lui soit des guérisons et des faits extraordinaires, soit des prises de position d’un Messie politique. Et c’est malheureusement encore dans ce sens que les Galiléens vont réagir au miracle des pains : ils voudront, dira l’évangéliste Jean, enlever Jésus pour le faire roi.
Pourtant, Jésus se laisse rejoindre par ces foules en attente : « il leur fit un bon accueil » nous dit l’Evangile. Pour essayer une fois encore de susciter la foi en lui et en Celui qui l’a envoyé. Jésus veut être perçu comme le vrai berger d’Israël, capable, au nom et avec la puissance de Dieu, de rassembler et nourrir son peuple.
Mais si le miracle des pains est une catéchèse à cette foule qui le suit, Jésus en même temps s’adresse aussi par là-même à ses plus proches, à ses disciples, pour les faire entrer plus intimement dans le cœur de son message. Ses disciples avaient sans doute hâte de terminer leur journée pour rentrer et souffler, comme peut-être certains soirs, tous ceux et celles qui portent le poids du jour de la bonne marche et de l’animation du Centre. Ils réagissent aussi comme de bons gestionnaires qui refusent de vivre au-dessus de leurs moyens. Et puis, avec cinq pains et deux poissons, comment nourrir une telle foule ? Mais l’invitation de Jésus à nourrir la foule n’est pas discutable. Ce n’est pas seulement l’affaire de Jésus, c’est leur affaire à eux-aussi, la nôtre aujourd’hui. Le souci des foules, la pitié pour les brebis sans berger, l’attention à tous les besoins de l’humanité, la recherche de sens aujourd’hui, tous ces sentiments qui dictaient la conduite de Jésus doivent passer désormais dans le cœur des disciples : « Donnez-leur vous-mêmes à manger ». Jésus refuse de renvoyer les foules, car le temps du Royaume s’accommode mal de remises au lendemain : nourrir ceux qui ont faim, cela fait partie du projet du Royaume, ici et maintenant.
Alors les disciples obéissent. Mais pas question de jeter le pain à l’aveuglette comme on nourrit des oiseaux qui piaillent de faim et d’impatience. Non, Jésus commence par lever les yeux au ciel et bénir le pain et les poissons. Il ne s’agit pas d’une incantation magique qui va transformer miraculeusement les choses et le cours des événements. Il reconnaît simplement que le pain est un don de Dieu et que, comme tel, il doit être partagé entre tous. Aucune exclusive, aucun laissé pour compte, aucune part réservée à quelque nanti. Jésus rompt le pain pour que les disciples le distribuent. Partage et attention, ce sont les seules vraies forces capables de rassasier, d’apporter un peu plus en humanité.
Mais si tout le monde a été rassasié, si le Règne de Dieu est déjà bien présent, il doit grandir, il doit s’étendre. Le Règne de Dieu ne souffre aucune mise à part : « On ramassa les morceaux qui restaient : cela faisait douze paniers ». Douze paniers comme les douze tribus d’Israël. Le chiffre qui symbolise la totalité, la plénitude, car Dieu ne réserve pas son alliance à une liste d’invités, il convoque sans compter, il rassemble « une foule immense, que nul ne peut dénombrer » nous dit l’Apocalypse (Ap. 7,9)
Mais au-delà de la faim matérielle des hommes, que les Apôtres ne pourront jamais oublier, Jésus vise une faim plus radicale, qu’il est seul à pouvoir combler : la faim de la Parole de Dieu, de cette parole qui ouvre l’avenir et qui met debout ceux qui l’entendent. Voilà le projet de Dieu, frères et sœurs : nourrir, faire vivre, et rassembler. Ce pourrait être la devise de la Pairelle ! Et c’est là que le miracle des pains oriente vers l’avenir : le pain à satiété aux bords du lac préfigure l’eucharistie que Jésus donnera à son peuple la veille de sa mort. Depuis, notre vie chrétienne, et l’Eglise toute entière, se constitue, se construit, par le repas eucharistique. Inlassablement, l’Eglise se redit à elle-même et redit au monde, l’œuvre et le projet de Dieu. Par notre vie, nous devons témoigner que la vie vaut plus que « dépenser notre argent pour ce qui ne nourrit pas, nous fatiguer pour ce qui ne rassasie pas », pour reprendre les paroles du prophète Isaïe.
L’Eglise est donc appelée à être ce « sacrement », le signe visible de cette réalité qui la dépasse : le rassemblement, dans l’unité, de l’humanité enfin réconciliée. Membres de cette Eglise, cela signifie que nous acceptons d’adopter les attitudes qui furent celles de Jésus-Christ, c’est-à-dire cet amour qui l’amène à donner sa vie, sa chair et son sang, pour la vie des hommes, une vie qui ne peut être vraie que dans la vérité et l’unité au-delà des divisions. En partageant ce pain et ce vin ensemble, frères et sœurs, nous signifions que nous adhérons à la logique de Pâques. « Faites cela en mémoire de moi ». Car la mémoire du Christ, c’est la charité. C’est donc tout notre être qui est appelé à devenir corps du Christ, c’est toute notre vie qui est appelée à être eucharistique, c’est toute notre vie qui, d’une manière ou d’une autre, est appelée à se donner. Et c’est pour que des hommes et des femmes aujourd’hui puissent découvrir cette vie que Dieu donne, que la Pairelle existe. Et c’est parce qu’il y a depuis 50 ans des hommes et des femmes qui se donnent au service du Centre, qu’il peut exister.
Oui, frères et sœurs, rendons grâce au Seigneur pour la fidélité de Dieu durant toutes ces années et jusqu’à ce jour. Pour la généreuse disponibilité de tous ceux et celles qui ont fait et font de ce lieu un lieu de gratuité, de beauté et de silence, un lieu de la recherche du Seigneur, un lieu pour écouter sa Parole, et donner sens à sa vie à partir de cette Parole et du chemin que proposent les Exercices spirituels. Laïcs, religieuses, jésuites, c’est ensemble que nous voulons continuer à être au service de cette mission, au service de l’Eglise du diocèse de Namur qui nous donne sa confiance, et bien plus largement encore.
Bien sûr, faire vivre un centre spirituel aujourd’hui, c’est un peu comme dans l’évangile de ce jour : c’est un peu toujours un miracle ! Il s’agit de bien faire ce qui dépend de nous, tant pour le suivi rigoureux de la gestion que pour la qualité de ce qui est proposé, tant pour la capacité à se mettre à l’écoute de nouveaux appels, de faire œuvre de créativité évangélique, que de veiller, dans le quotidien des jours, à un climat simple et joyeux, celui qui sûrement habitait ces foules autour de Jésus en partageant le repas.
La Compagnie de Jésus est résolument engagée en ce lieu, et n’a pas d’autre désir que de continuer, avec vous tous ensemble, cette belle aventure. Que cette eucharistie, mes amis, qui est la fois, mémorial, présence et promesse de Dieu pour cette maison, oriente et fortifie notre désir que La Pairelle soit encore longtemps ce havre de paix pour la rencontre de notre Dieu, ami des hommes. Et qu’il nous donne la grâce des renouvellements pour, s’il le veut, avancer avec confiance vers les 50 prochaines années !
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En savoir + sur le Centre spirituel jésuite La Pairelle
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