Le troisième an…ou « L’école du cœur »! Le P. Bernard Carrière sj, jésuite de la Province du Canada francophone, a été il y a quelques années un des animateurs du Troisième An en France.
« Il sera utile à ceux qui ont été envoyés aux études, une fois achevée la tâche de former avec soin l’intelligence, de s’appliquer, pendant le temps de la dernière probation, à l’école du cœur ». Ignace de Loyola a inséré ce texte il y a plus de 450 ans dans les Constitutions des jésuites. Depuis ce temps, cette dernière étape de la formation, le troisième an, est toujours demeurée en vigueur, même si elle a connu plus d’un aménagement au cours de l’histoire. L’expression à laquelle recours le fondateur de la Compagnie pour exprimer ce que doit être cette probation, une école du cœur, traduit la manière dont le compagnon de Jésus est invité, durant cette période d’arrêt de ses activités habituelles, à s’accueillir lui-même devant Dieu, à se centrer sur la personne du Christ et à revoir sa façon d’entrer en relation avec les autres.
Une probation
Le terme « probation » est employé ici dans le sens d’une épreuve qui permet de vérifier l’authenticité d’une vocation. Le mot fait partie du vocabulaire ignatien dans les Constitutions.
Il y a trois probations à traverser avant d’être totalement intégré au corps de la Compagnie.
La première précède l’entrée au noviciat. Elle est vécue par le candidat sous la forme d’un discernement d’une dizaine de jours qui l’amène à voir si vraiment son désir le conduit à emprunter, avec le Christ, ce « chemin vers Dieu » qu’est la Compagnie.
La deuxième probation dure deux ans: c’est le noviciat proprement dit qui se clôt par l’engagement des premiers vœux.
La troisième probation, que nous appelons habituellement le troisième an, est proposée à celui qui vient de traverser un long temps de formation humaine, spirituelle et intellectuelle, et elle est conçue comme la dernière étape du processus d’intégration au corps apostolique de la Compagnie. C’est donc en toute lucidité que le jésuite, prêtre ou frère formé, entreprend le troisième an, comme une ultime vérification de sa vocation, avant d’être invité par le supérieur général à prononcer les derniers vœux.
Le précédent supérieur général, le père Kolvenbach, décrit comme un défi à relever ce temps de l’école du cœur, voulu par saint Ignace lui-même. Le jésuite qui est sur le point d’être agrégé au corps de la Compagnie est invité à se confronter à lui-même et à se reconnaître, dans ses forces et ses faiblesses. « II y va de la maturité de chacun et de sa capacité proprement apostolique, écrit le père général. Et la formation de l’affectivité spirituelle est présentée comme résultant du dépouillement de soi-même afin de pouvoir accueillir plus pleinement le don de Dieu. »
Le déroulement
Cette dernière étape de la formation se situe habituellement après que le jésuite a terminé la période des études, qu’il a été ordonné prêtre et qu’il a déjà exercé une activité apostolique durant quelques années. Ceux qui sont invités à la vivre sont entrés dans la Compagnie depuis au moins une douzaine d’années. Ils entreprennent le troisième an alors qu’ils arrivent à 40 ans ou plus. Ils se retrouvent à dix, douze, quatorze, de plusieurs nationalités, pour une période de 6 à 13 mois au cours de laquelle ils pourront, entre les sessions intensives, reprendre leurs activités habituelles ou vivre une expérience radicalement nouvelle, assez souvent dans un pays qu’ils ne connaissent pas et dans un environnement humain et apostolique inédit pour eux.
Le troisième an de la province de France a pris une couleur internationale depuis 2003. L’un des deux accompagnateurs, qu’on appelle traditionnellement « instructeurs », est venu pour un temps de la province du Canada français. On a conservé cependant la formule qui avait été mise au point au milieu des années 70. Le troisième an se déroule en trois sessions et s’étend sur treize mois. La première session, d’une durée de dix jours, a lieu en décembre. Elle commence une semaine avant Noël, dans la maison du noviciat, près de Lyon. Elle introduit les participants au contenu de l’ensemble du troisième an et elle permet un premier contact entre les tertiaires (comme on appelle ceux qui sont au troisième an) dont plusieurs ne se connaissent pas. C’est une mise en marche qui amène chacun à se resituer dans son expérience spirituelle et à reconnaître l’appel du Seigneur pour les mois à venir.
La deuxième session, la plus longue, a lieu du début d’avril au début d’août. Elle constitue le cœur de cette étape de formation, comme nous allons le voir ci-dessous. Elle se déroule en deux lieux: pour la plus grande partie, à Lalouvesc, en Ardèche, dans ce village de montagne où est mort saint François Régis en 1640; et le dernier mois, avait lieu à l’époque à Saint-Didier-au Mont-d’Or, près de Lyon.
La troisième session, de douze jours, en janvier de l’année suivante, marque la fin du troisième an. Elle comporte une retraite et une évaluation personnelle et communautaire de ce qui a été vécu durant ces treize mois.
Entre la première et la deuxième sessions, ou après la deuxième, il y a le plus souvent ce qu’on appelle en langage ignatien, un expériment, c’est-à-dire un stage, de quelques mois, en France ou à l’étranger, qui est, pour le tertiaire, l’occasion d’entrer en relation avec un milieu nouveau et de se laisser toucher, impressionner, humainement et spirituellement, par les personnes et les situations rencontrées.
Au cœur du troisième an
Ce qui est vraiment le cœur du troisième an se déroule durant la session de quatre mois. Elle comprend trois temps: la relecture personnelle et communautaire de l’histoire de grâce de chacun, les Exercices spirituels vécus intégralement, et l’étude des textes fondateurs de la Compagnie. La retraite de trente jours est l’élément principal de cette session. Le père Kolvenbach, dans les directives adressées en 1991 aux supérieurs provinciaux sur le troisième an, écrit, au sujet du mois des Exercices, que le tertiaire doit se laisser saisir « de façon renouvelée, dans la totalité de sa vie, par Celui qui en est et qui demande à en devenir toujours plus l’unique Seigneur; et il accepte d’être entraîné sur le chemin pascal de Celui qui veut l’associer définitivement à sa mission de salut ».
L’accompagnement spirituel personnel joue un rôle déterminant tout au long des treize mois du troisième an. Chaque tertiaire chemine avec l’un des deux instructeurs qu’il rencontre fréquemment pendant les sessions et avec lequel il communique régulièrement aux autres périodes. Durant le mois des Exercices, c’est tous les jours qu’il voit son accompagnateur. La vie communautaire est aussi une composante importante de ce temps de formation. Elle se vit dans les moments de prière commune, dans les partages formels et informels et dans les temps de détente. Un pèlerinage d’une dizaine de jours, après le mois des Exercices, conduit les tertiaires, par groupes de trois ou quatre, à cheminer en vivant le plus frugalement possible et en cherchant à dialoguer avec les gens qui les accueillent. Cette vie de fraternité est l’occasion d’un véritable ressourcement et d’une redécouverte de la relation de compagnonnage qui a marqué les débuts de la Compagnie.
Au terme du troisième an, chacun de ces jésuites, déjà engagés dans « la vigne du Seigneur », peut retourner dans sa province en disant qu’il se connaît mieux, qu’il connaît mieux la Compagnie, qu’il sait pourquoi il est jésuite, et qu’il veut continuer à servir le Seigneur et l’Église dans « cette très petite congrégation » appelée Compagnie de Jésus.
P. Bernard Carrière sj
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