Le Sud-Soudan, le plus récent des États du monde, naît en 2011, après 30 ans de guerre avec le Nord. Deux ans plus tard, il subit un nouveau conflit, entre ses propres groupes ethniques cette fois. En août 2018, la signature d’un nouvel accord de paix offre une lueur d’espoir à des populations meurtries et épuisées.
La violence reste cependant omniprésente : un jésuite a été assassiné début octobre… Voici l’écho d’une visite par l’Irlandaise Noëlle Fitzpatrick, du Bureau des Missions, envoyée spéciale pour Xavier Network, le réseau international des bureaux de missions jésuites.
Le Sud-Soudan est un pays magnifique, intense et complexe. Durant l’été 2018, en lien avec le réseau international Xavier Network, j’ai visité quelques projets : des écoles, un institut de formation des enseignants ainsi que des initiatives d’aide psycho- logique, de formation professionnelle, enfin de Justice et Paix. La plupart de ces projets sont dirigés par la Province jésuite d’Afrique de l’Est et le Service Jésuite des Réfugiés (JRS), dont le soutien s’étend aux personnes qui en ont le plus besoin, indépendamment de leur origine ethnique ou religieuse. Il s’adresse aux communautés de réfugiés et de personnes déplacées, aux rapatriés et aux communautés locales d’accueil.
Entre enthousiasme et épuisement
Tout au long de mon séjour, une citation de l’écrivaine irlandaise Edna O’Brien a résonné en moi : « L’histoire est partout. Elle s’infiltre dans le sol, dans le sous-sol, comme la pluie, la grêle, la neige ou le sang. Une maison se souvient, une maison de campagne se souvient. »
Le Sud-Soudan a connu beaucoup de conflits et de souffrances. Les gens ont vraiment souffert ici et pendant de nombreuses années. On le sent dans les yeux fatigués et dans les conversations. On le voit dans les fermes abandonnées ou brûlées, dans la pauvreté généralisée, mais aussi dans la forte présence de l’ONU, dans les réseaux routiers pauvres et peu sûrs, dans les couvre-feux de nuit imposés et dans la direction politique militarisée. Le dynamisme, les attentes, l’enthousiasme immense pour l’éducation et le désir d’être reliés au reste du monde, que j’ai découverts chez les jeunes, reposent sur les épaules épuisées et traumatisées des générations plus âgées.
Des raisons d’espérer
De nombreux commentateurs et analystes sont peu optimistes quant à l’avenir de ce pays. Bien qu’ils n’aient pas complètement tort, j’ai cependant trouvé des raisons d’espérer. La première est l’engagement constant des communautés religieuses pour le développement humain intégral dans cette région. La seconde est l’appétit insatiable des jeunes pour l’éducation : celle-ci a vraiment la capacité d’ouvrir des possibles pour l’avenir et d’apporter les ressources nécessaires à la société pour marcher vers la paix.
Une école secondaire jésuite, symbole de la résilience humaine
J’ai visité une école secondaire jésuite, perchée sur une colline juste à l’extérieur de la ville de Wau. L’école créée au début des années 80 a été reprise par l’armée pendant de nombreuses années durant le conflit. Rouverte en 2008 avec 60 élèves, elle en compte aujourd’hui plus de 600, dont la majorité sont des filles. Beaucoup d’élèves vivent dans des logements provisoires, dans l’enceinte de l’église ou dans le camp de protection des civils créé par l’ONU pour protéger ceux qui fuient le conflit. Tous les matins, ils affluent dans l’école en provenance de toutes les directions et de tous les milieux socio-économiques et ethniques. Ayant poursuivi sa mission éducative pendant les longues années de conflit, ce lieu est devenu un véritable symbole de la résilience humaine.
À partir de la prise de conscience, tout changement est possible
Certes, les anciennes méthodes dominent encore, mais de nouvelles manières de faire apparaissent, en particulier chez les jeunes, moins disposés à accepter le népotisme et la pratique consistant à récompenser l’allégeance tribale par des postes de pouvoir, indépendamment de la compétence. Les Soudanais du Sud ont un dicton : « Même si une bûche reste longtemps dans l’eau, elle ne devient pas un crocodile. » La transformation des cœurs, des mentalités et des opportunités nécessitera du temps et la contribution de nombreux « sages » qui savent comment accompagner la société dans ce lent travail de transformation sociale. Cela se fera dans les écoles, dans les paroisses et parmi les groupes communautaires.
Le grand nombre d’ONG et d’initiatives de la société civile au Sud-Soudan est très encourageant. Ils ne seront pas tous efficaces et certains sont dans un faible état de développement. Il suffit qu’ils existent car, aux côtés des écoles, des entités ecclésiales et d’autres initiatives, ils peuvent donner vie à l’esprit de la Constitution de 2011. Ensemble, toutes ces entités peuvent aider les Sud- Soudanais à prendre conscience des droits et des responsabilités énoncés dans leur Constitution. À partir de cette prise de conscience, tout changement est possible.
Un jésuite martyr
Le 15 novembre, un jésuite kenyan, le P. Victor-Luke Odhiambo, 62 ans, a été tué lors d’une attaque contre la communauté de Cueibet. Actif au Sud-Soudan depuis dix ans, il était directeur du Mazzolari Teachers’ College et supérieur par interim de la communauté. « Il laisse un souvenir vif non seulement au Sud- Soudan, en tant que premier jésuite à mourir au service de ses gens, mais dans toute l’Afrique de l’Est en tant qu’enseignant de milliers d’étudiants » écrivit le Père Général. La nouvelle du meurtre du P. Odhiambo – enseignant admiré, administrateur talentueux et prêtre jésuite profondément dévoué – a provoqué une onde de choc dans la Compagnie.
Noëlle Fitzpatrick
Bureau des missions – Irlande
Source : Échos jésuites • no 2018-4, p.34-35
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