La Province jésuite d’Europe occidentale francophone a annoncé l’ouverture d’un nouveau collège à Anderlecht (Bruxelles). Interview du P. Thierry Dobbelstein sj, assistant du Provincial des jésuites d’Europe occidentale francophone.
Pourquoi un nouveau collège jésuite à Bruxelles ?
Ce projet est né de la volonté conjointe des anciens élèves du collège Saint-Michel de Bruxelles, de la coordination des établissements jésuites et de la Compagnie de Jésus de répondre aux défis éducatifs que connaît la ville de Bruxelles. Alors que la croissance démographique est forte, certains élèves ne trouvent pas de place dans les écoles secondaires. Les différents réseaux d’enseignement ont ainsi été sollicités par les pouvoirs publics pour ouvrir des classes supplémentaires ou pour créer de nouvelles écoles. Il nous a paru important de répondre à cet appel.
Les jésuites ont, dans ce domaine, une longue et riche expérience : ils sont engagés dans l’éducation depuis la fondation de la Compagnie de Jésus au XVIème siècle. À Bruxelles, il y avait déjà trois établissements animés par les coordinations des collèges jésuites – deux du côté néerlandophone et un du côté francophone. Les jésuites néerlandophones envisagent eux aussi d’ouvrir un nouvel établissement, prochainement à Molenbeek. À Bruxelles, cela ferait alors cinq établissements reliés aux réseaux jésuites. Dans la Province d’Europe Occidentale francophone, une vingtaine d’établissements sont en lien avec la Compagnie de Jésus.
Pourquoi avoir choisi ce quartier à Anderlecht comme lieu d’implantation ?
L’objectif était de trouver un quartier qui permette de faire des ponts. Le Boulevard Poincaré fait la limite entre la commune d’Anderlecht et celle de Bruxelles-ville. Comme dans d’autres quartiers de la Région bruxelloise, de nombreux habitants sont d’origine étrangère avec des cultures, religions, et langues très diverses. C’est aussi un lieu facilement accessible par les transports en commun : la proximité de la gare du Midi permettra à des élèves issus d’autres quartiers d’y être scolarisés.
Le défi est de vivre le mieux possible la mixité sociale, culturelle et religieuse. Cette mixité est bien au cœur du projet de l’école : les rencontres et le travail en commun devraient aider les élèves à expérimenter positivement la rencontre de l’autre ; que les élèves puissent côtoyer des jeunes de religion ou de philosophie différente, d’origine socio-économique différente… et que cela soit vécu positivement !
Le défi de la diversité sera aussi pédagogique : il s’agit d’accueillir les différentes formes d’intelligence et les besoins que peuvent avoir certains élèves. Le collège Matteo Ricci souhaite proposer des pédagogies innovantes et un accompagnement spécifique à ces élèves. D’une certaine façon, ce collège sera un laboratoire où l’on souhaite expérimenter quelque chose de nouveau.
Vous évoquez la diversité des religions et philosophies ; quelle sera la place de la religion dans l’école ?
Le Collège Matteo Ricci sera une école catholique. L’Évangile est notre source d’inspiration et fera partie du projet d’établissement. Mais, comme toutes nos écoles catholiques, elle accueillera des élèves de différentes confessions. Ce qui nous parait important, c’est que la rencontre des religions soit vécue pleinement et positivement. C’est évident que c’est toujours un exercice difficile, mais le jeu en vaut la chandelle !
Il ne faut pas seulement théoriser la religion, mais permettre aux jeunes de faire des expériences d’intériorité ensemble. Chacun peut apprendre de l’autre, chacun pourra aussi mettre les mots de sa religion ou de sa tradition sur les expériences vécues ensemble. Nous voulons vivre le pari que c’est en invitant chacun à aller jusqu’au bout de sa foi et de la tradition religieuse de sa famille, qu’il devient un meilleur citoyen, un meilleur acteur de transformation sociale. Une foi bien vécue, chrétienne, musulmane ou outre, est un ressort extraordinaire pour la justice et la paix.
Vous devinez le défi extraordinaire, spécialement dans une ville comme Bruxelles, marquée par les événements tragiques des dernières années. N’est-ce pas une contribution exceptionnelle quand des jeunes ont des amis de religions différentes ? Un vrai antidote contre les amalgames trop faciles et contre les replis sur soi.
En quoi la pédagogie jésuite, comme vous l’évoquez, peut-elle être utile ?
La pédagogie jésuite est fondée sur la confiance : on mise sur la personne en lui faisant confiance et en l’invitant à faire de même. Cela révèle à l’élève qu’il est capable par lui-même, qu’il peut progresser notamment avec d’autres. Chacun, élève comme éducateur, est invité à porter, d’emblée, un regard positif sur les personnes et sur les situations. C’est ce que saint Ignace, le fondateur de la Compagnie de Jésus, appelait l’a priori favorable. Nos élèves sont invités à expérimenter cela, non seulement pendant leur scolarité, mais aussi et surtout tout au long de leur vie : dans un monde et une société qui changent, nous ne devons pas nous laisser gagner par l’angoisse ou le pessimisme.
Nous faisons le choix de commencer chaque jour en mettant toute notre énergie et notre créativité à percevoir, dans la personne que nous croisons et dans ce monde qui nous est donné, ce qui est beau, ce qui est source d’espérance. Je prendrai un exemple concret pour illustrer cela : face au multiculturalisme que connaît la ville de Bruxelles, certains réagissent dans la crainte, ou même voient leur intérêt à attiser les craintes ; on peut aussi faire le choix d’accueillir la diversité comme un défi porteur d’opportunités nouvelles.
Deux établissements jésuites français, Saint-Geneviève à Versailles et Saint-Louis de Gonzague à Paris, arrivent à la tête des classements publiés la semaine dernière. Est-ce votre objectif pour le collège Matteo Ricci ?
La réalité de l’organisation de l’enseignement en Belgique francophone est assez différente de celle qui existe en France. J’ai enseigné moi-même au Collège jésuite de Liège pendant une quinzaine d’années ; je devrais d’ailleurs parler plutôt d’une école « bénédictino-jésuite » à Liège. J’ai donc, moi aussi, partagé la fierté légitime de l’école quand nous apprenions que certains de nos élèves réussissaient brillamment l’examen d’entrée des ingénieurs civils. Je comprends donc que l’on puisse être heureux des très bons résultats de Franklin et Ginette.
Mais ce n’est qu’une partie de la réalité de la présence jésuite dans le monde de l’éducation et de l’enseignement. De mon côté, j’étais au moins aussi heureux ou fier quand tel élève réussissait son examen de sciences en rhéto (terminale) en juin, alors que dix mois plus tôt je n’aurais pu parier sur sa réussite. Faire vivre la pédagogie jésuite, c’est considérer que chaque élève a une valeur intrinsèque, indépendamment de son niveau scolaire et au-delà de ses résultats scolaires. L’objectif est bien d’accompagner autant que possible chacun : lui fournir autant que possible un accompagnement personnalisé qui lui permette de donner le meilleur de lui-même.
Si, pour la France, vous citez des établissements comme Ginette ou Franklin, je voudrais signaler l’importance du réseau Loyola-Formation. Depuis quelques années, c’est un réseau de petites unités de formation par le travail. Des jésuites avec d’autres, notamment des ingénieurs de l’ICAM, ont fondé des lieux où se forment des jeunes déscolarisés : ils sont passés au travers des mailles du filet de l’éducation nationale, mais le réseau Loyola-Education leur a donné une nouvelle chance de se former et d’obtenir un diplôme. La réussite est totale quand ces jeunes croisent ceux de Ginette ou de Franklin lors de rassemblement d’écoles jésuites. Construire des ponts, offrir à chacun la fierté de donner le meilleur de lui-même… c’est bien cela la pédagogie jésuite !
N’êtes-vous pas un peu trop ambitieux ?
Je sais que bien d’autres écoles vivent ces mêmes idéaux, et que des enseignants et éducateurs les réalisent … Il n’y a pas besoin d’être jésuite ou de se dire appartenir à une école jésuite pour miser sur le meilleur de ce qui habite chacun, élève, parent, éducateur, enseignant.
P. Thierry Dobbelstein sj, assistant du Provincial des jésuites d’Europe occidentale francophone