Lors de sa visite à Nagasaki et Hiroshima, les 24 et 25 novembre 2019, le pape François a fermement dénoncé la logique de la dissuasion nucléaire et récusé l’idée qu’elle puisse garantir la paix. Il poursuit en cela, tout en la radicalisant, une critique commencée par ses prédécesseurs, comme nous l’explique le P. Christian Mellon sj, intervenant au CERAS, ancien secrétaire de la Commission Justice et Paix France.
Sur la dissuasion nucléaire, le pape François franchit une étape de plus, radicale cette fois, dans la déligitimation de la dissuasion nucléaire, poursuivant une ligné qui était celle du Vatican depuis la fin de la guerre froide. Cette étape, c’est en fait en novembre 2017 qu’il l’a franchie : ayant parrainé l’organisation, au Vatican, d’un symposium sur le désarmement nucléaire, il y a prononcé, le 10 novembre, un discours où il déclarait notamment : « Si l’on considère aussi le risque d’une détonation accidentelle de telles armes due à n’importe quel type d’erreur, il faut condamner fermement la menace de leur usage, ainsi que leur possession, précisément parce que leur existence est inséparable d’une logique de peur qui ne concerne pas seulement les parties en conflit, mais tout le genre humain » (lire la totalité du discours ici).
Il tranche ainsi une question âprement débattue par les moralistes dans les années 80 : si l’emploi d’une arme de destruction massive est condamné de manière inconditionnelle (c’est-à-dire même en cas de «légitime défense », comme l’affirme Vatican II), cette condamnation s’étend-elle à la menace d’emploi de cette arme ? Cette distinction entre emploi et menace d’emploi était au cœur de la justification éthique donnée par l’épiscopat français, en 1983, dans Gagner la paix. Elle est ici réfutée : si l’emploi est criminel, la menace d’emploi l’est aussi. Le document final de ce symposium précise : « L’usage et la possession des armes nucléaires méritent une condamnation puisqu’elles sont des instruments de guerre indiscriminés et disproportionnés ».
« Un crime contre l’homme et la maison commune »
Exprimant son soutien au traité TIAN adopté par l’ONU en juillet 2017, qui déclare illégales la fabrication et la possession d’armes nucléaires, François invite les Etats non signataires (dont les grandes puissances nucléaires, restées à l’écart de ce traité) à le signer.
Contrairement à ce qu’ont affirmé certains commentateurs, les discours du pape François à Hiroshima et Nagasaki (24 et 25 novembre 2019) n’ont pas « pris le contrepied de ses prédécesseurs ». On l’a notamment opposé aux déclarations du pape Jean Paul II de 1982, oubliant que ce pape a encore vécu 23 ans et a donné à ses représentants à l’ONU de toutes autres instructions après 1991. Cela ne constitue pas non plus une innovation par rapport à ce que le pape François a dit en 2017. Il le précise d’ailleurs explicitement dans son discours à Hiroshima : « Je désire redire avec conviction que l’utilisation de l’énergie atomique à des fins militaires est aujourd’hui plus que jamais un crime, non seulement contre l’homme et sa dignité, mais aussi contre toute possibilité d’avenir dans notre maison commune. L’utilisation de l’énergie atomique à des fins militaires est immorale de même que la possession des armes atomiques, comme je l’avais déjà dit il y a deux ans ».