Antoine Paumard homélie François Boëdec

Homélie du Provincial pour les derniers vœux du P. Antoine Paumard sj

Le P. Antoine Paumard sj a prononcé ses derniers vœux le samedi 11 janvier en l’église Saint-Ignace à Paris. Le P. François Boëdec sj, Provincial des jésuites d’Europe Occidentale Francophone, a présidé la célébration et prononcé l’homélie.

Antoine Paumard homélie François BoëdecFrères et sœurs, cher Antoine,

Nous accueillons cet épisode évangélique que l’Eglise nous propose en cette fête du baptême de Jésus. Baptême de Jésus qu’Ignace nous invite à méditer dans la deuxième Semaine des Exercices spirituels qui veut nous aider à découvrir comment suivre le Christ en tant que disciple.

Cet épisode – nous venons de l’entendre –  nous parle de Jésus, de son identité, de son rapport à son Père. Mais il nous dit aussi que la présence de Jésus est tout sauf banale dans nos vies. Sa manière de nous rejoindre, d’être là, d’élargir nos horizons, de nous faire advenir à nous-mêmes. Et tu le sais cela, Antoine, par ta propre expérience, ton histoire personnelle, avant la Compagnie et depuis, par l’expérience que tu fais tous les jours dans tes différents lieux de vie et de service. Dieu se fait proche. Et l’évangile se répète sans cesse, toujours nouveau, comme ce fut le cas ce jour-là sur les bords du Jourdain. Jean-Baptiste annonce que celui qui baptisera dans l’Esprit-Saint est tout proche, et le voici qui vient. Il vient de Nazareth, petite ville de Galilée. Il ne vient pas de Judée, ni même de la grande cité royale, Jérusalem, mais de ce petit village perdu dans une région méprisée. Jésus paraît sur les bords du Jourdain, comme tant d’autres, pour recevoir lui aussi le baptême de Jean. Jean, figure marquante par son désir d’absolu, et de vie radicale. Certains commentateurs de la vie d’Ignace ont pu d’ailleurs écrire combien, selon eux, Ignace, dans ses premiers pas de conversion, aurait été très sensible à cette figure de Jean-Baptiste. Et les peintures de l’époque qui représentent le baptême de Jésus, nous livrent souvent un portrait du Baptiste, cheveux longs sur les épaules, la barbe fournie, l’habit déchiré retenu par une corde, assez proche de l’image que l’on peut se figurer d’Ignace, lorsqu’il déambule dans les rues de Manresa, vêtu des oripeaux du pauvre de Montserrat, la tignasse en bataille, et les ongles non coupés. Désir d’absolu. Désir de conversion. Désir de grandes choses, parfois peut-être à la force des poignets. Mais désir qui ne trouve son sens, sa justesse aussi, que par la venue de Jésus.

Jésus vient. Et il se mêle à la foule. Dans le mouvement qu’il a inauguré à Noël par son incarnation simple et fragile, Dieu n’exige pas de passer en premier, il ne cherche pas de passe-droit. Il ne se baptise pas lui-même comme Napoléon se sacrant empereur. Non, Jésus entre dans cette longue cohorte humaine qui cherche la vie. Celui par qui la Vie nous arrive, fait sienne cette recherche et ce désir de l’humanité. Dieu ne veut en effet rien faire qui nous soit extérieur, magiquement, arbitrairement. S’il vient nous rejoindre au cœur même de notre recherche, de notre besoin de vie, c’est que c’est là, dans le cœur des hommes, dans l’épaisseur de nos existences et de l’Histoire, dans l’exercice de notre liberté, qu’il veut être accueilli et agir. Cela aussi, Antoine, tu as appris à le découvrir, le percevoir, le relire.

Mais je crois qu’il y a encore autre chose qui nous est dit à travers ce baptême de Jésus. Dimanche dernier, à l’Epiphanie, nous avons vu avec les Rois Mages s’abolir la distance qui sépare Israël et les païens. Il est une autre distance encore plus considérable que Jésus vient abolir ici : celle qui sépare le juste du pécheur. Nous le voyons ici prendre place parmi les pécheurs qui vont se soumettre au rite de purification. Jean-Baptiste va trouver que ce n’est pas normal que Jésus soit à cette place-là, mais Jésus lui répond « Laisse faire, car il convient que nous accomplissions ainsi toute justice ». Jésus n’a pas à mettre à mort une part obscure de lui-même ; il n’a pas à se convertir ; il n’a pas à renaître puisqu’il est celui qui naît de Dieu. Mais Jésus, le juste, se solidarise avec les injustes pour subir leur sort, et les tourner vers la vie. En lui, Dieu rejoint l’homme au plus profond de sa détresse et de son mal. Il s’agit bien d’accomplissement au sens du Nouveau Testament, au sens où l’amour accomplit la loi, c’est-à-dire la supplante en la dépassant. N’as-tu pas non plus perçu un peu cela, Antoine, « pêcheur pardonné », dans ta propre vie, et dans tes différentes missions, notamment au JRS France, dans ces histoires d’hommes et de femmes ramenés à la vie ? Oui, Dieu ne cesse de vouloir nous remettre dans le fil de la vie.

En fait, Jésus, Premier-né d’entre les hommes, Premier des baptisés pourrait-on dire aussi, en agissant ainsi, en ouvrant le chemin, est celui qui accueille le mieux l’Esprit de son Père, celui qui entre totalement dans son projet et dans son désir. L’Esprit, lien du Père et du Fils, l’Esprit qui est mobilité et liberté, vient en quelque sorte se fixer, reposer sur le Christ. En l’homme Jésus, se concentre tout l’amour de Dieu, tout l’amour qui est Dieu. Aucun homme n’avait encore été cela. Aussi l’image qui nous est donnée dans ce texte est-elle une image de création : création d’une humanité nouvelle et d’un monde nouveau. Comme au début de la Genèse, l’Esprit de Dieu vole sur la face des eaux. Image de création, image de naissance aussi. Jésus sort de l’eau comme on sort du ventre maternel, comme les Hébreux sortent de la Mer Rouge pour naître à l’identité de peuple de Dieu. Humanité nouvelle, monde nouveau. Ce à quoi nous aspirons tant, et vers lesquels nous voulons aider le monde à aller.

Alors, Antoine, Celui qui reconnaît en Jésus le Fils et accepte de le suivre, entre du même coup dans cette condition de fils. Nous avons toujours à entrer dans cette filiation. A croire qu’elle est bien pour nous aussi. Que, depuis le Christ, il nous est dit à chacun : « Tu es mon Fils, tu es mon enfant bien-aimé ; en toi, j’ai mis tout mon amour. ». Nous sommes là au cœur de l’identité de Jésus, au cœur de son intimité à laquelle il désire nous associer. Entendre cette Parole au plus profond de nous, c’est l’enjeu de notre vie, nous faisant concevoir toute l’existence autrement. Le chemin d’humanité que prend Jésus, ce chemin manifesté par ce baptême et qui surprend tant Jean le Baptiste c’est le chemin qui nous sauve, c’est à dire qui fait de nous des frères et des sœurs de Jésus, des enfants adoptifs de Dieu, des compagnons. Compagnons d’un Jésus qui nous désire avec lui, malgré toutes nos limites, nos suffisances, et nos reniements. Finalement, cette parole qui révèle qui est Jésus, elle nous révèle aussi qui nous sommes : fils et filles de Dieu, aimés de Dieu…

C’est Charles Péguy, je crois, qui parle du baptême comme du « Sacrement qui commence ». L’Évangile de ce jour montre que le chemin de Jésus commence. Il conduira jusqu’au bout de l’offrande qu’il fera de sa vie par amour. L’eau du baptême se mêlera à son sang sur la croix. Laisser le Christ nous rejoindre chacun, chacune, sur les bords de nos propres Jourdains, nous conduira à vivre le même baptême que lui, transmettre son Esprit de vie et de libération, mais aussi être plongés dans sa mort pour renaître dans sa résurrection. Quel sang, quelle eau coulent en notre cœur ? Quel esprit nous habite ? Le baptême nous dit que notre existence est en forme de Pâque, qu’elle est passage à une vie par et dans l’Esprit. Changement qui se réalise déjà lorsque nous choisissons ce dont nous ont parlé la première et la deuxième lecture : faire du bien, guérir, libérer, proclamer le droit en vérité… Tout ce dont nos existences et ce monde ont tant besoin.

Eh bien, Antoine, « laisse faire ». Laisse faire le Seigneur dans ta vie, lui qui t’a rejoint sur ton chemin. Et nous tous avec toi, partageant ton action de grâce et celle de la Compagnie, puissions-nous également, à la suite d’Ignace, accueillir et consentir, sans crainte et avec foi, au mouvement de l’Esprit qui veut nous renouveler dans cet amour, cet amour qui ne craint pas d’aller jusqu’au bout.

Amen !

P. François Boëdec sj,
Provincial des jésuites d’Europe Occidentale Francophone

> Crédit photo : © Trung-Hieu DO

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