Après deux années d’études au Centre Sèvres à Paris, Cyrille Causse a été envoyé pour sa troisième année en Autriche. Il raconte son immersion, partagée entre les cours à la Faculté de théologie d’Innsbruck, et la découverte des compagnons et des missions d’une Province actuellement engagée dans un processus de restructuration – la création d’une grande Province d’Europe centrale.
C’est avec l’invitation de mon Provincial à « accueillir cette année comme un cadeau » que je suis arrivé en juillet dernier à Innsbruck, pour une année d’études au pays de Mozart, de Sissi et de Maria von Trapp. J’ai souvent lu ou entendu au noviciat que les jésuites sont des « contemplatifs dans l’action ». Manière de souligner que les jésuites aiment trouver Dieu dans l’action et dans leurs lieux de mission. Mais lorsque débute, à la sortie du noviciat, un premier cycle de cinq ans d’études à Paris, on est en droit de se demander s’il ne vaudrait pas mieux renverser l’adage : « actifs dans la contemplation » ne décrit-il pas mieux cette période où il s’agit de s’activer certes, mais dans le périmètre étroit d’un bureau ou d’une salle de cours, de pérégriner laborieusement entre les pages d’un livre de philosophie et les quinze pages d’une dissertation ?
« Accueillir cette année comme un cadeau »
La formule paraît anodine. Oui, passer un an à Innsbruck, petite ville de 120 000 habitants, nichée dans les montagnes autrichiennes, c’est bien sûr un beau cadeau. Innsbruck et ses maisons aux crépis colorés, son marché de Noël, ses touristes italiens et son vin chaud. Innsbruck, son église et son collège jésuites, à deux pas du centre historique, de la résidence impériale (Hofburg) et du Landestheater… Pourtant, si ces quelques mots ont pris une importance si singulière pour moi, c’est qu’ils contiennent une invitation à chercher davantage de liberté et de gratuité dans les études.
Liberté et gratuité
Cette invitation m’est revenue en mémoire au moment de me remettre à l’allemand avec plusieurs compagnons jésuites à l’université d’Innsbruck. Apprendre une langue vivante exige de consentir à ne pas tout maîtriser. Certes, on s’y dispose en s’exerçant, en apprenant du vocabulaire, en étudiant la grammaire, etc. Mais une bonne partie du travail se réalise passivement,
y compris dans les périodes de découragement où prime cette impression étrange de ne pas avancer, voire de régresser. L’essentiel n’est pas de multiplier les efforts, mais de se tenir fidèlement à des exercices justement proportionnés et prévus d’avance. Réentendre cette invitation à « accueillir cette année comme un cadeau » m’a permis de me dessaisir du souci d’avancer vite et de maîtriser absolument ma progression. Cette pédagogie de l’exercice permet alors de préserver un espace pour l’inattendu et la nouveauté. Comme cette invitation d’un jésuite à accompagner dès le lendemain des jeunes Autrichiens pour une semaine en voilier en mer du Nord. Comme ce désir de me remettre au violon, appris pendant deux courtes années lorsque j’étais enfant.
La présence de la Compagnie de Jésus à Innsbruck est ancienne.
Le collège où je réside est l’un des premiers collèges jésuites, fondé en 1562, soit 22 ans après la création de la Compagnie, par saint Pierre Canisius. Ce jésuite, né à Nimègue, a joué un rôle important au moment de la Réforme, au service de l’Église et du développement de la Compagnie en Allemagne et en Autriche. À Vienne, pour le Nouvel An et les premiers jours de janvier, j’ai participé à la rencontre des scolastiques des quatre Provinces – Allemagne, Suisse, Autriche, Lituanie-Lettonie – qui formeront l’année prochaine une nouvelle grande Province d’Europe centrale (ECE). L’occasion pour moi de mieux saisir l’exigence de clarté et d’exactitude qui imprègne les cultures de langue allemande, et qui nous reste un peu étrangère en France. « Accueillir l’année qui vient comme un cadeau », c’est aussi ce que je souhaite aux compagnons de la future Province ECE. Et n’est-ce pas finalement une autre façon d’être « contemplatif dans l’action », c’est-à-dire de s’engager généreusement dans l’action, dans l’étude ou dans la création d’une nouvelle Province, tout en laissant à Dieu une juste part d’inconnu ?
Cyrille Causse sj
Scolastique (étudiant) français, de la communauté jésuite d’Innsbruck
La formation jésuite
La formation jésuite comprend des temps d’études, mais aussi des périodes d’expérience apostolique et de formation spirituelle. Son achèvement est couronné par les derniers vœux.
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Qu’est-ce que la Province d’Autriche et la future Province d’Europe centrale (ECE) ?
La Province d’Autriche compte aujourd’hui une soixantaine de jésuites, répartis entre Innsbruck, Linz, Vienne et Graz. Elle est impliquée dans l’enseignement obligatoire, l’enseignement supérieur (Faculté de théologie d’Innsbruck), auprès des jeunes (Marianische Kongregation à Innsbruck), dans l’accompagnement spirituel (Centre spirituel Kardinal König Haus à Vienne) et dans l’apostolat social (en particulier avec le projet Concordia auprès d’enfants des rues en Bulgarie). La future Province d’Europe centrale (ECE) sera créée le 27 avril 2021, jour du 500e anniversaire de la naissance de saint Pierre Canisius. Elle réunira les jésuites actuellement membres des Provinces suisse, allemande, autrichienne et de Lituanie-Lettonie.
Cet article a paru dans la revue Échos jésuites (printemps 2020), la revue trimestrielle de la Province d’Europe Occidentale Francophone. L’abonnement, numérique et papier, est gratuit. Pour vous abonner, merci d’envoyer votre mail et/ou votre adresse postale à communicationbxl [at] jesuites.com.