Toute vie humaine est tendue entre deux pôles : chacun de nous est appelé à vivre, chacun de nous est condamné à ressusciter. C’est vrai de tout être humain, mais cela apparaît plus spécialement chez certains dont Charles CORDONNIER.
Le papa de Charles, Paul CORDONNIER, avait fait des études de droit avant de combattre quatre années dans les tranchées ; au cours du conflit, il avait perdu deux frères. La maman de Charles, Cécile CORDONNIER, avait, également, perdu deux frères dans les combats. Charles naît, dans ce contexte, en 1923, troisième enfant de la famille, vite entouré de six autres frères sœurs ; autour de Paul et Cécile, cela faisait une belle tablée où fusaient librement les échanges. Profondément attachée à la foi chrétienne, la famille avait de fortes convictions ouvertes sur le monde et ses mouvements.
Charles fut un scout convaincu et responsable. Élève au Collège Saint-Louis de Gonzague, ses bons résultats, en fin de troisième, le conduisirent au Collège jésuite de Feldkirch en Autriche pour y faire une année scolaire en langue allemande. Cette expérience fut interrompue par l’annexion de l’Autriche par le 3e Reich, l’Anschluss. Il fut renvoyé d’urgence à Paris, à l’arrivée des armées hitlériennes aux portes du collège. Ce qui ne l’empêcha pas de passer son baccalauréat et de faire une année de préparation à l’École Normale Supérieure avant d’entrer au noviciat en septembre 1942. Au milieu d’un monde dur et, quelquefois, hostile, Charles apparaitra, toujours, comme quelqu’un de pacifique qui met ses dons au service des personnes. Il est persuadé que cela finira par produire son fruit.
Dans les postes et les responsabilités qu’il a exercés (accompagnateur à Clamart, vice-provincial de Paris, vicaire général des chrétiens d’Orient), il était moins soucieux de faire autorité que de mettre en valeur tous les possibles de ceux qu’il accompagnait, et cela, quel que soit le niveau intellectuel et social de ceux à qui il s’adressait. Ainsi en est-il dans les années pendant lesquelles Charles a été membre et supérieur de la communauté de Cergy, une communauté nouvelle de jésuites soucieux d’être proches et solidaires des gens du quartier dont ils partageaient les conditions de vie. Pour Charles, habitué aux grandes communautés plutôt classiques, il y avait un défi à relever : être attentif à ce qui se vivait tout en acceptant ses limites – les œufs à la coque était la seule chose qu’il était capable de cuisiner. Mais, au dehors, dans la communauté paroissiale, il s’agissait de rejoindre les paroissiens de Cergy, cosmopolites – beaucoup d’entre eux étant des migrants de première génération, dont le français était très approximatif – sans renoncer à leur partager ce qu’il avait de meilleur, par ses homélies, imprégnées des Écritures.
Tout en étant peu réceptif aux évolutions des moyens de communication modernes, Charles était un homme qui observait l’évolution de la société et s’engageait de telle sorte que l’Église et la Compagnie puissent s’adapter à cette évolution.
Une vie facile pour un homme doué, ouvert, s’adaptant au monde où il vivait ? On aurait pu le croire si, au cours des dernières années de sa vie, il n’avait eu à vivre l’épreuve du dépouillement (au moins apparent) de ses dons et de l’enfermement sur lui-même. Il vivait un isolement certain et passait par de grandes angoisses nocturnes : on avait alors le sentiment de se heurter à une porte fermée derrière laquelle quelqu’un appelait sans pouvoir ouvrir… Notre espérance : le Père était présent dans cet enfermement, silencieux jusqu’au moment où le Christ a pu ordonner à Charles de sortir pour le rejoindre…
Thierry GEISLER sj