D’origine haïtienne, Patrick Saint-Jean sj a grandi à Montpellier avant de rejoindre les États-Unis et la Compagnie de Jésus. En régence à l’Université de Creighton, où il enseigne la psychologie, il est particulièrement marqué par la violence raciale aux États-Unis. Il témoigne.
« Je ne peux plus respirer » implorait George Floyd, peu avant de succomber sous la violence policière. C’était le 25 mai dernier, à Minneapolis. Avant lui, et encore récemment, tant d’hommes et de femmes noirs ont invoqué le Dieu de justice face à la brutalité policière américaine…
Combattre l’épidémie systémique du racisme
Alors que nous essayons tous de nous protéger de la pandémie du Covid-19 – une maladie respiratoire ! –, les personnes noires réclament le droit de respirer. Le souffle est un don de Dieu ; pourquoi certaines personnes devraient-elles se battre pour ce droit, en raison de leur couleur de peau ? Le racisme est une réalité, le racisme est un péché.
Le combat pour la justice raciale n’est pas neuf en Amérique ; il fait même partie dramatiquement de son histoire. L’action de Martin Luther King a permis la fin de la ségrégation dans les lieux publics, grâce au Civil Rights Act. Personne n’ignore la fin de vie tragique de cet apôtre de la non-violence.
Pour beaucoup d’Afro-Américains, la lutte pour la justice sociale est une lutte quotidienne : contre la violence policière, contre la maladie – ce sont eux qui paient actuellement le plus lourd tribut au Covid-19 –, contre la pauvreté, contre la faim… Aller dormir après avoir reçu, pour seul repas, un verre d’eau sucrée et un morceau de pain, c’est une réalité pour beaucoup d’enfants noirs ; une réalité que j’ai moi-même connue à un moment de mon enfance.
À côté de la santé, de la nourriture, d’un logement et d’un espace où vivre libres et en sécurité, les personnes noires aspirent à la justice. Et comment faire entendre la raison quand on a faim de reconnaissance d’une humanité partagée ?
Comment agir ?
Martin Luther King a défini quatre étapes dans une campagne non violente pour la réconciliation : 1. la collecte de données objectives de nature à prouver l’injustice ; 2. la négociation ; 3. la purification de soi ; 4. l’action directe. C’est cette quatrième étape qui, au printemps dernier, a amené des millions de gens à sortir dans la rue pour manifester, aux États-Unis mais aussi aux quatre coins du monde. Ces rassemblements antiracistes, en pleine pandémie, ont pu heurter. Mais que vaut la prescription normative face à « la défense du droit sacré de la vie humaine ? Nous ne pouvons tolérer ou fermer les yeux face au racisme et à l’exclusion » (pape François). Le droit à la vie des Noirs est non négociable.
Du silence
Le silence peut parfois être une forme d’action : s’il est temps de prière ou de conversion spirituelle. En tant que jésuite, j’estime beaucoup le silence. Cependant, un silence non productif peut être perçu comme de l’indifférence. Face au péché du racisme, une part non négligeable des fidèles et de la hiérarchie de l’Église catholique devraient remettre en question leur silence s’il est vide d’action. Et que penser de l’absence de couleur dans la hiérarchie catholique américaine ? Parmi les quelque 400 évêques (actifs et retraités) et 37 000 ministres ordonnés, moins de 1 % est d’origine noire. Quel intérêt une majorité blanche aurait-elle à modifier, par la parole ou par l’action, un système ou un mode de pensée qui lui sont confortables ou avantageux ? En tant que catholique, on ne peut « silencieusement » apprécier le privilège d’être blanc… ou riche… ou en bonne santé.
Il y a le silence ; il y a la complaisance, qui est une forme de racisme. Pour moi, la complaisance de certains Blancs face à l’injustice relève du péché. Je citerai le prétexte, souvent évoqué, de « l’ami noir ». Récemment, je donnais une conférence dans une paroisse de Chicago, à prédominance blanche. Je ne montrais personne du doigt, mais j’ai été surpris de voir tant de gens se prévaloir de ne pas être racistes parce que : « Mon voisin est noir. J’avais deux amis noirs à l’école secondaire. J’ai un collègue noir que j’estime ; d’ailleurs, nous mangeons du poulet frit ensemble au déjeuner. Vous voyez ? Je ne suis pas raciste. » Les gens pensent que la proximité d’un peu de noirceur ou de couleur les dispense de réfléchir honnêtement à leur attitude profonde.
Comme l’a dit le Père Arrupe : « Être drogué par le confort des privilèges, c’est contribuer à l’injustice en tant que bénéficiaires silencieux des fruits de l’injustice. »
Agir pour la réconciliation
Avec l’aide de Dieu, les hommes et les femmes doivent abandonner leurs privilèges pour chercher la guérison et la réconciliation. Si nous ne sommes pas directement responsables de l’escalade de l’injustice, en tant que chrétiens, catholiques, nous devons mettre fin à la complaisance et prendre des risques. Que nous vivions aux États-Unis ou en Europe, nous devons nous laisser toucher, prendre la parole ouvertement et nous engager, avec une profonde passion pour la justice. Pratiquer la contemplation dans l’action pour trouver Dieu, dirait saint Ignace. Faisons entendre notre voix, même dans les simples échanges quotidiens, pour que d’autres puissent respirer.
Patrick Saint-Jean sj
Nebraska, province jésuite USA Midwest, États-Unis
Pour aller + loin
Patrick Saint-Jean sj est chroniqueur sur thejesuitpost.org
Cet article est paru dans la revue Échos jésuites (automne 2020), la revue trimestrielle de la Province d’Europe Occidentale Francophone. L’abonnement, numérique et papier, est gratuit. Pour vous abonner, merci d’envoyer votre mail et/ou votre adresse postale à communicationbxl [at] jesuites.com.