Le 20 mai, jour anniversaire de la blessure d’Ignace à Pampelune, marque l’ouverture d’une année ignatienne pour la Compagnie de Jésus. Le P. Paul Legavre évoque cet épisode fondateur dans la vie d’Ignace. Comment un boulet de canon peut remettre l’homme en marche.

Le visiteur qui pénètre dans la maison natale de saint Ignace, à Loyola, découvre à l’entrée une imposante statue de bronze, qui le représente à terre, sur un brancard, les yeux fermés, exténué : c’est l’un des commencements de l’aventure ignatienne.

La toute première fois que je suis allé à Loyola, en 1991, un vieux jésuite basque m’entraîna devant la statue, massive. La vie d’Ignace est brisée, me dit-il, et pas seulement sa jambe ; il est dans une impasse terrible, sans avenir clair ni assuré. Il a failli mourir au combat et, quelques semaines plus tard, on pense qu’il ne passera pas la nuit. Sans compter la blessure d’amour propre : notre homme rêvait d’exploits, il avait réussi à galvaniser de façon illusoire les troupes espagnoles assiégées. S’ensuivit un long temps de souffrance et de convalescence, le vide intérieur, l’ennui, la peur de ne plus pouvoir séduire les femmes à cause d’une jambe désormais plus courte, malgré les opérations successives – « une boucherie », notera sobrement Ignace le boiteux.

Une autre image me vient : celle d’Ignace, rétabli après de longs mois, la nuit, la tête tournée vers le haut, dans la contemplation du ciel et des étoiles, qui « ressentait en lui un très grand élan pour servir notre Seigneur ». C’est qu’un travail souterrain de conversion s’est accompli en l’homme, à la lecture de la vie des saints, à la méditation des Écritures et à la découverte progressive de « la diversité des esprits qui l’agitent ». Ce sont des exploits pour Dieu qu’il veut maintenant accomplir, avec « un cœur généreux et enflammé ». Le voilà en route pour Jérusalem, pèlerin de Dieu jusqu’à la fin de ses jours, sur un chemin déconcertant de sainteté sur lequel il va entraîner Pierre Favre, François Xavier, puis tant d’autres.

Se relever

Tôt ou tard, et sans doute à l’automne, nous serons sortis de la crise sanitaire. Rappelez-vous comment, en mars dernier, notre civilisation, tellement sûre d’elle-même, de ses richesses et de ses avancées scientifiques, s’est retrouvée, en quelques jours, un genou à terre, sidérée devant une menace planétaire, avec la moitié de l’humanité confinée. Ce long travail qu’il aura fallu accomplir pour se relever, et à quel prix, notamment pour les plus vulnérables ! Chacun a pu mener une réflexion, secrète ou partagée à quelques-uns, sur les priorités de la vie. Mais un drame personnel a pu aussi mettre à terre – le décès d’un proche, une maladie grave qui porte atteinte à l’intégrité corporelle, etc. Désormais, la vie est en sursis et s’éclaire d’une lumière nouvelle. Et nous voici, d’une façon ou d’une autre, appelés à voir toute chose nouvelle, comme y invite Ignace.

Se mettre en marche

« En famille » à Marseille, le 29 octobre 2021, nous nous rassemblerons joyeusement. Ce sera pour fêter la vie qui se donne, attentifs à tous ces commencements qui nous ont mis en mouvement, vulnérables, pauvres, habités aussi d’un grand désir, pour nous, nos proches et la société. Nous raconter nos chemins de conversion, en regard « des nombreuses choses vaines » du passé. Rendre grâce parce que Dieu ne cesse de venir à notre secours. Laisser « nos yeux s’ouvrir » pour que grandisse en nous « un cœur généreux et enflammé de Dieu », après avoir accepté de regarder toute chose, y compris celles qu’on n’aime pas voir.

Accueillir ensemble un élan et une espérance neuve, tournés vers l’avenir qui vient de Dieu.
Comment allons-nous, les uns et les autres, nous inscrire dans cette bonne dynamique d’une « Église en sortie », personnellement et avec les groupes ignatiens auxquels nous appartenons ?

Voir toute chose nouvelle. Laissons grandir le désir des retrouvailles et réjouissons-nous de ce rendez-vous auquel tous, nous sommes invités : à plusieurs milliers, dans la belle diversité de nos états de vie, nous pourrons partager un élan nouveau. Avançons au large, avec Ignace !

Ignace blessé

« Et ainsi, se trouvant dans une forteresse que les Français attaquaient, et après que la canonnade ait duré un bon moment, une bombarde l’atteignit à une jambe, la brisant toute ; et parce que le boulet passa entre les deux jambes, l’autre reçut aussi une mauvaise blessure […] et après qu’il fut resté douze ou quinze jours à Pampelune, ils l‘emmenèrent sur une litière dans sa patrie. »

Le récit du pèlerin, 1-2, dans Ignace de Loyola par lui-même, Éd. Vie chrétienne.

Paul Legavre sj
Centre spirituel de Manrèse (Île-de-France)

Cet article est paru dans la revue Échos jésuites (printemps 2021), la revue trimestrielle de la Province d’Europe Occidentale Francophone. L’abonnement, numérique et papier, est gratuit. Pour vous abonner, merci d’envoyer votre mail et/ou votre adresse postale à communicationbxl [at] jesuites.com.

Pour en savoir plus sur l’année ignatienne