« Christus vivit », avec la préface de de Mgr Kockerols

Les Éditions jésuites publient l’exhortation apostolique post-synodale, Christus vivit. Cette édition est préfacée par Mgr Jean Kockerols, évêque auxiliaire de l’archidiocèse de Malines-Bruxelles, qui en souligne les points essentiels et note la filiation avec la spiritualité ignatienne. 

Mgr Kockerols représentait l’Eglise de Belgique au Synode sur la foi, les jeunes et le discernement vocationnel qui s’est tenu à Rome 3 au 28 octobre 2018. Ce synode s’inscrivait dans la foulée des deux synodes sur le mariage et la famille, réunis en 2014 et 2015. Il avait été préparé dans les Eglises locales, en particulier par des questionnaires on-line proposés aux jeunes. En Belgique, plus de 4.000 réponses ont été mises en commun et synthétisées, pour servir de base au texte envoyé par les évêques belges au Secrétariat du synode. Par ailleurs, au printemps 2018, le pape avait invité des jeunes de partout à une assemblée pré-synodale.

Le présent texte est le fruit de ce processus synodal complexe mais prometteur pour l’Eglise universelle. Pour sa rédaction, le pape François s’est largement inspiré du document final voté par les Pères synodaux, tout en y mettant sa « griffe » personnelle parfois très reconnaissable. C’est donc un texte assez facile d’accès et pourtant exigeant dans son contenu. Il l’adresse en priorité « aux jeunes » dont il parle parfois à la 3ème personne (« ils ») ou en s’adressant à eux (« vous ») et régulièrement de façon directe à chacun (« tu »). La voix du pape vient ainsi interrompre un texte plus neutre, en l’amplifiant avec des accents typiques.

Un terme récurrent est celui de protagoniste : les jeunes ne peuvent rester « au balcon ». « Ne confondez pas le bonheur avec un divan et ne vivez pas toute votre vie derrière un écran. » (143) La vraie jeunesse, c’est un cœur capable d’aimer (13), un état d’esprit (34). En corollaire, l’appel à la sainteté revient dans chaque chapitre.

Le thème d’une Eglise à l’écoute est une lame de fond, à l’opposé d’une tendance qui « prévaut d’apporter des réponses toutes faites et de proposer des recettes toutes prêtes, sans laisser émerger les questions des jeunes dans leur nouveauté, ni saisir ce qu’elles ont de provocant » (65).

Comment lire cette exhortation, qui compte 9 chapitres d’ampleur très variable et thématiquement assez distincts ? Il semble préférable de les lire séparément et de prendre à chaque fois le temps de bien comprendre.

Dans un premier chapitre, comme souvent, le pape se laisse inspirer par la Parole de Dieu, en présentant un choix assez éclectique de figures bibliques de jeunes. Ce qui lui permet d’ouvrir le chapitre 2 sur une belle description de la jeunesse de Jésus. Mais il en vient vite à insister pour que l’Eglise se laisse renouveler, attentive aux signes des temps et aux critiques légitimes des jeunes, y compris de ceux qui n’attendent plus rien d’elle. On notera l’évocation des revendications des femmes (42). Ce chapitre se poursuit avec une belle évocation de Marie, l’influencer de Dieu (44), reprenant des thèmes développés aux JMJ de Panama. Et enfin, en quelques lignes, le pape présente des figures de jeunes saints de tous continents et de toutes époques.

Après la Bible, Jésus et sa mère, les saints de l’Eglise, on aboutit au chapitre 3 à une évocation, assez rapide, des jeunes aujourd’hui. Il y a tant de diversité parmi les jeunes, d’où l’impossibilité de se lancer dans une analyse exhaustive. Ce qui n’empêche pas le pape de souligner le mal fait aux jeunes, parfois transformés en matériel jetable (78), en invitant à être sensible face à ces drames et à pleurer. Il ne pourrait passer à côté des désirs et des blessures des jeunes, notamment dans le domaine de la sexualité (81). Comme dans Amoris Laetitia, il souligne l’importance d’un véritable travail de restauration de la paix du cœur (83).

Le pape se focalise sur trois thèmes qui lui chers : les défis du monde numérique, avec ses méfaits, dont la pornographie ; la crise migratoire et enfin le drame des abus commis par des prêtres et religieux. François lance un appel original aux jeunes de discerner les dérapages possibles chez un « prêtre en danger » (100). Il invite donc à montrer le péché des membres de l’Eglise, mais sans pour autant abandonner une Mère blessée.

Dans un bref 4ème chapitre, le pape circonscrit « la grande annonce » : en quelque sorte le kérygme pour les jeunes, autour de trois grandes vérités : Dieu est amour et tu as du prix à ses yeux ; le Christ te sauve par le don total de sa vie sur la Croix ; Il vit et la puissance de la résurrection est à l’œuvre dans ta vie.

Les « chemins de jeunesse » font l’objet du 5ème chapitre, en quelque sorte un petit traité de vie spirituelle pour les jeunes par ce pape qui est un fin connaisseur de notre humanité. Il commence par décrire le temps des rêves et des choix, avec ses inquiétudes et son étonnement, une « sainte anxiété » mais aussi la « déesse lamentation » qui nous trompe, l’effort, la patience etc. Il greffe ensuite ce cheminement personnel sur l’amitié à vivre avec le Christ, le « grand ami » (150). « Ne prive pas ta jeunesse de cette amitié » (156). Le pape demande de rester on line avec Jésus, de ne pas perdre la connexion. Il se réfère à sa propre histoire. Le chemin de sainteté proposé ne consiste pas à copier les autres : sois toi-même, « pas une photocopie » (162). Ce chemin ne peut passer à côté de l’engagement social, en vue du bien commun, sans oublier la valeur inestimable du témoignage (175).

Le chapitre 6 est consacré aux thème des racines. Il est significatif que le pape consacre un chapitre spécifique à ce thème, dénonçant le culte faussement rendu à la jeunesse, l’idolâtrie du corps, une spiritualité sans Dieu ou encore la colonisation culturelle de l’Occident. Il en appelle surtout à ne jamais mépriser l’histoire et à vivre une relation intense avec les personnes âgées, les « gardiens de la mémoire » (196). On constatera que le pape est bien plus discret sur la relation aux parents.

Le chapitre 7 se penche alors sur la pastorale des jeunes, en insistant pour que les mouvements et les diocèses travaillent main dans la main (202) et que les jeunes soient eux-mêmes acteurs de la pastorale (203). Celle-ci doit être flexible, viser à faire des expériences afin de propager la joie de l’Evangile. Élaborée de manière synodale, cette pastorale doit s’adresser autant aux jeunes en recherche, en déployant une « grammaire de l’amour », qu’à ceux qui ont déjà fait l’expérience de la foi, en visant leur croissance personnelle. Le pape veut « calmer l’obsession de transmettre une accumulation de contenus doctrinaux » (212). Il faut surtout que l’accueil soit cordial et qu’il y ait des espaces fraternels, qui ressemblent à un foyer. Espérons que ceux à qui ceci s’adresse, comprendront.

L’initiation à la foi des jeunes passe par la prière, le service, l’art, le sport, les mouvements de jeunesse : « ces sources de vie nouvelle, nous n’avons pas le droit de les priver de tant de bien. » (229). Avec des accents bergogliens, privilégiant une Eglise « aux portes ouvertes » (234) et faisant place à la progressivité, le pape se penche sur la pastorale populaire des jeunes, demandant à ne pas être élitiste et à prendre le risque d’organiser des choses plus modestes mais aussi plus inclusives, témoignant ainsi d’une ouverture évangélique.

On notera aussi la place que le pape réserve à la formation et l’accompagnement des accompagnateurs. Il reprend notamment une proposition faite au synode par Fr. Aloys, le prieur de Taizé, d’instaurer un ministère reconnu de l’écoute (244).

Le thème de la vocation est abordé au chapitre 8 sous un angle large : c’est l’appel à l’amitié avec Jésus. Plus précisément, c’est l’appel au service missionnaire des autres. Y répondre, c’est faire les choses avec une orientation, un cap. Deux grandes réalités sont abordées dans cette perspective. L’amour et la famille d’une part, thème qui permet au pape de demander aux jeunes de se « révolter contre la culture du provisoire » (264) et d’opter pour le mariage. Le travail de l’autre, une réalité « qui donne sens ».

Ce n’est qu’ensuite, en fin de chapitre, que le texte fait droit brièvement aux vocations à une consécration particulière : assez classiquement, celles à la vie de prêtre ou à la vie religieuse.

Enfin, reprenant largement ce qu’il avait déjà développé dans Gaudete et exsultate, François évoque dans un ultime chapitre les éléments fondamentaux d’un bon discernement : l’effort que cela requiert, la prière et le questionnement sain qui en sont les moteurs, la question essentielle à se poser : « pour qui suis-je ? ». C’est l’appel de l’ami, qui veut le meilleur pour toi, qui fait de la vocation un don, mais aussi un risque. On retrouvera dans les notes sur l’écoute et l’accompagnement et l’insistance sur un processus, des traits évidents de spiritualité ignacienne.

Mgr Jean Kockerols,
évêque auxiliaire de l’archidiocèse de Malines-Bruxelles 

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