Encyclique Fratelli tutti

Construire le « nous » de la Maison commune : le chemin de la fraternité

Pour la sortie de l’encyclique : Fratelli Tutti du pape François, le Père Grégoire Catta sj, directeur du service national famille et société de la Conférence des évêques de France, revient – dans son commentaire – sur les notions de « rêve, de « pauvres » et de « dialogue ».

Encyclique Fratelli tuttiCinq ans après Laudato si’, le pape François offre une deuxième encyclique sociale. Après avoir attiré notre attention sur l’urgence du soin à porter à notre Maison commune, il invite à « constituer un ‘nous’ qui habite [cette] Maison commune » (FT 17).  Le chemin pour construire ce « nous », c’est celui d’une fraternité universelle « qui permet de reconnaître, de valoriser et d’aimer chaque personne indépendamment de la proximité physique, peu importe où elle est née ou habite » (FT 1).  Fraternité va de pair avec « amitié sociale ». Ce sont comme deux pôles inséparables (FT 142). Le pape rassemble donc ses très nombreuses interventions sur ces sujets depuis le début de son pontificat en un document ordonné qui, sans nul doute, fera date dans le magistère social par son ampleur et sa profondeur. C’est une véritable feuille de route pour une vie sociale authentiquement humaine du plan le plus local des relations en famille ou avec ses voisins jusqu’au plan le plus global des relations internationales.

Sources insprantes

La fraternité n’est pas un concept théorique. Saint François d’Assise l’incarne concrètement dans sa vie et c’est cette figure que propose d’emblée pour en parler le pape qui a choisi son nom. « Saint François qui se sentait frère du soleil, de la mer et du vent, se savait encore davantage uni à ceux qui étaient de sa propre chair. Il a semé la paix partout et côtoyé les pauvres, les abandonnés, les malades, les marginalisés, les derniers » (FT 2). Saint François n’a pas hésité à aller au-delà des frontières et des barrières de la religion et de la culture pour rencontrer le Sultan Malik-el-Kamil en Égypte, témoignant ainsi d’une fraternité qui va toujours plus loin.

La fraternité, c’est aussi pour le pape, cette inspiration qu’il a trouvée dans sa rencontre personnelle avec le Grand Iman Ahmad Al-Tayyeb et le dialogue qu’il a engagé avec lui (cf FT 5). La déclaration commune signée à Abou Dhabi en 2019 « n’était pas un simple acte diplomatique, mais une réflexion faite dans le dialogue et fondée sur un engagement commun » (FT 5). Elle est citée à plusieurs reprises et l’appel commun à adopter une culture du dialogue est repris en finale de l’encyclique.

Enfin, c’est dans la parabole du Bon Samaritain, présentée et commentée dans le chapitre II, que le pape trouve l’expression la plus parlante de la fraternité pour aujourd’hui afin de mettre en mouvement non seulement les fidèles catholiques mais toute personne de bonne volonté. La parabole évangélique bien connue, « se présente de telle manière que chacun d’entre nous peut se laisser interpeller par elle » (FT 56). Un homme qui vient au secours d’un blessé abandonné qui lui est totalement étranger. Fraternité concrète au-delà de toute frontière. Fraternité qui est aussi inscrite dans la perspective de liens sociaux institués puisque le samaritain s’appuie sur un aubergiste et son auberge pour agir (cf FT 67). La fraternité n’est pas qu’une question de relations interpersonnelles mais également le chemin du bien commun et de la construction de lien social.

Dans la tradition de la doctrine sociale

Dans la tradition de l’enseignement social de l’Église, l’encyclique commence par regarder et faire le constat des « tendances du monde actuel qui entravent la promotion de la fraternité universelle » : tensions et violences multiples, recul du multilatéralisme, montée des populismes, inégalités, dignité humaine bafouée, prolifération de l’information « sans sagesse », mépris des faibles et des pauvres… Pourtant on voit aussi des signes d’espérance dans toutes ces initiatives d’engagements et de solidarité déployées par de si nombreuses personnes qui « ont compris que personne ne se sauve seul » (FT 54). Dans un deuxième temps, FT propose, dans ses chapitres 2 et 3 une ample réflexion sur la notion de fraternité ancrée dans la tradition biblique et théologique, en dialogue avec la philosophie et les sciences humaines, et toujours solidement incarnée dans l’expérience concrète dont le pape argentin sait si bien se faire l’écho. Et finalement, la seconde moitié de FT déploie toutes les conséquences de la promotion de la fraternité et de l’amitié sociale dans différents domaines de la vie des personnes et des peuples : migrations, rapport à l’étranger, politique et économie, dialogue social, recherche de la paix, abolition de la peine de mort, rôle des religions… On reconnait dans ce plan de l’encyclique, la dynamique du voir-juger-agir, que Saint Jean XXIII avait donné comme méthode privilégiée pour la doctrine sociale de l’Eglise dans Mater et magistra [1].

L’approfondissement de toutes ces thématiques ouvre à un riche travail de réception mais d’ores et déjà, trois mots peuvent aider à dégager quelques premières lignes de forces.

Rêve

querida amazoniaDans son exhortation Querida Amazonia, François partageait quatre rêves qu’il avait pour le monde à partir de la réalité du bassin de l’Amazonie : rêves social, culturel, écologique et ecclésial. De nouveau dans FT le mot rêve revient avec insistance : « Je forme le vœu qu’en cette époque que nous traversons, en reconnaissant la dignité de chaque personne humaine, nous puissions tous ensemble faire renaître un désir universel d’humanité. Tous ensemble : ‘Voici un très beau secret pour rêver et faire de notre vie une belle aventure’. […] Rêvons en tant qu’une seule et même humanité, comme des voyageurs partageant la même chair humaine, comme des enfants de cette même terre qui nous abrite tous, chacun avec la richesse de sa foi ou de ses convictions, chacun avec sa propre voix, tous frères » (FT 8). Dans la bouche du pape, le rêve n’est aucunement une fuite de la réalité ou l’expression d’une utopie irréalisable, mais c’est bien la capacité à imaginer et créer pour changer et transformer ce monde, pour construire la justice et la paix, pour constituer véritablement ce ‘nous’ qui habite la maison commune[2]. Le « rêve d’un avenir meilleur » devient le ferment pour « créer les conditions de sa réalisation » (FT 37). L’invitation au rêve est invitation à l’espérance qui n’est pas à confondre avec un vague optimisme mais qui est confiance en un Dieu qui ne nous abandonne pas[3]. « L’espérance est audace, elle sait regarder au-delà du confort personnel, des petites sécurités et des compensations qui rétrécissent l’horizon, pour s’ouvrir à de grands idéaux qui rendent la vie plus belle et plus digne » (FT 55).

Dialogue

Laudato SiLe dialogue était déjà le chemin de l’écologie intégrale dans Laudato si’ [4], dans FT c’est le chemin de la fraternité et de l’amitié sociale. « Pour nous rencontrer et nous entraider, nous avons besoin de dialoguer. Il est inutile de dire à quoi sert le dialogue. Il suffit d’imaginer ce que serait le monde sans ce dialogue patient de tant de personnes généreuses qui ont maintenu unies familles et communautés » (FT 198). Et dans la société, « entre l’indifférence égoïste et la protestation violente il y a une option toujours possible : le dialogue » (FT 199). Le dialogue n’est pas un simple échange de points de vue ou l’acceptation d’un relativisme ou tout se vaut. Ce n’est pas non plus une manière de refuser de voir les conflits et les divergences. C’est le chemin pour « construire en commun » et rechercher ensemble la vérité. « Dans une société pluraliste, le dialogue est le chemin le plus adéquat pour parvenir à reconnaître ce qui doit toujours être affirmé et respecté, au-delà du consensus de circonstance » (FT 211). Il s’agit là d’une véritable culture à promouvoir. On se souvient que Saint Paul VI avait souligné que « l’origine du dialogue se trouve dans l’intention même de Dieu » [5]. Pour les chrétiens le dialogue n’est pas une option de circonstance, il a un fondement théologique. François l’illustre une nouvelle fois dans cette encyclique.

Pauvres

L’option préférentielle pour les pauvres est elle aussi une option théologique « implicite dans la foi christologique en ce Dieu qui s’est fait pauvre pour nous, pour nous enrichir de sa pauvreté », rappelait François dans Evangelii gaudium en citant son prédécesseur Benoit XVI. Et il ajoutait « ils ont beaucoup à nous enseigner. […] il est nécessaire que nous nous laissions évangéliser par eux »[6]. Dans FT, l’attention aux plus pauvres, aux petits, aux exclus, aux derniers est constante. C’est le lieu où se vérifie l’authenticité de la fraternité et de l’amitié sociale. Ainsi, « la recherche de l’amitié sociale n’implique pas seulement le rapprochement entre groupes sociaux éloignés après une période conflictuelle dans l’histoire, mais aussi la volonté de se retrouver avec les secteurs les plus appauvris et vulnérables » (FT 233). Plus loin dans le chapitre sur la paix et la guerre il est souligné que pour construire une paix véritable dans la société, on ne peut faire fi de l’iniquité et du manque de développement intégral : « Quand la société – locale, nationale ou mondiale – abandonne dans la périphérie une partie d’elle-même, il n’y a ni programmes politiques, ni forces de l’ordre ou d’intelligence qui puissent assurer sans fin la tranquillité. S’il s’avère nécessaire de recommencer, ce sera toujours à partir des derniers » (FT 235). François reprend également abondamment les discours qu’il a faits lors de ses rencontres avec les mouvements populaires.

 

Tous frères et sœurs ! En conclusion, remarquons que voir en l’autre, en tout autre, un frère, une sœur, à aimer et à soutenir[7], est non seulement un programme de vie personnelle mais un programme de société. En ce sens, FT a une tonalité résolument politique. « Un individu peut aider une personne dans le besoin, mais lorsqu’il s’associe à d’autres pour créer des processus sociaux de fraternité et de justice pour tous, il entre dans le champ de la plus grande charité, la charité politique » (FT 180). Au cœur des multiples crises provoquées ou aggravées par la pandémie de Covid 19, devant l’impressionnant défi de la conversion écologique à l’écoute du cri des pauvres et du cri de la terre[8], le chemin de la fraternité proposé aujourd’hui par le pape est particulièrement d’actualité.

Grégoire Catta sjP. Grégoire Catta sj, Directeur du Service national famille et société, Oct 2020.
Éclairage publié sur le site l’Église Catholique de France.

 


[1] Jean XXIII, Mater et magistra (1961), no. 236. www.vatican.va.

[2] Cf Fratelli tutti, 4, 8, 30, 37, 127, 150, 287.

[3] Cf. Laudato si’ 245. « Au cœur de ce monde, le Seigneur de la vie qui nous aime tant, continue d’être présent. Il ne nous abandonne pas, il ne nous laisse pas seuls, parce qu’il s’est définitivement uni à notre terre, et son amour nous porte toujours à trouver de nouveaux chemins ».

[4] Cf, Laudato si’, chapitre 5, 163-201.

[5] Paul VI, Ecclesiam suam (1964), 72. www.vatican.va.

[6] François, Evangelii gaudium (2013), 198.

[7] Cf. Document sur la fraternité humaine pour la paix mondiale et la coexistence commune, Abou Dhabi (4 février 2019. www.vatican.va.

[8] Cf. Laudato si 49.