Lorsqu’il quitte le noviciat, le jeune jésuite est envoyé à Paris. Peu après son arrivée, il prononcera les vœux d’obéissance, de pauvreté et de chasteté, et promettra d’entrer dans la Compagnie de Jésus : le novice, devenu » scolastique « , autrement dit » étudiant « , entre dans la période de formation du premier cycle.
Ces 5 ans vont être avant tout un temps d’intégration progressive à la Compagnie, certes fortement orienté par les études qu’il fait, mais qui ne se réduit pas à celles-ci. Le scolastique entre dans une » expérience » dont les dimensions sont tout à la fois intellectuelle, apostolique, et religieuse.
Une expérience intellectuelle
Si l’on regarde son emploi du temps, le scolastique est en premier lieu un étudiant, à temps plein aux Facultés Jésuites de Paris, le Centre Sèvres. Les études de philosophie et de théologie dans le premier cycle ne sont pas spécialisées, mais posent des bases. Le parcours, commun pour tous les scolastiques, permet d’entrer dans l’ensemble de la tradition théologique et dans les grandes questions de la philosophie. A la différence de la formation habituelle des séminaires, qui fait succéder à la philosophie la théologie, le choix des jésuites français a été, au début des années 70, de construire un parcours » intégré « , où on aborde ensemble philosophie et théologie, l’articulation se faisant par le choix des thèmes d’année : en première année, Expérience et Langage, en seconde année, La question de Dieu, en troisième année, L’homme en questions, en quatrième année, L’existence croyante.
S’il suit des cours et participe à des séminaires, le scolastique consacre une bonne moitié de son temps au travail personnel. Cela passe par la lecture, où il se confronte à de grandes œuvres de la tradition philosophique ou théologique; par le travail d’écriture aussi : en quatrième année, un mémoire achève cet effort.
Le premier cycle constitue vraiment pour le scolastique-étudiant une expérience : il est invité à se confronter à de grandes questions de l’existence humaine (comme l’énigme du mal) et de la foi chrétienne. Expérience signifie approfondissement des convictions personnelles immédiates, éventuellement leur remise en cause, construction de repères forts parce que vérifiés, élaboration d’un jugement solide allié à une liberté intérieure.
C’est l’occasion pour le scolastique de mieux percevoir son intérêt propre, les quelques questions qui l’habitent, lui personnellement, et qui vont » colorer » sans doute son orientation apostolique, à tout le moins l’aider à y réfléchir. Un exemple : tel scolastique, engagé avec ATD Quart-Monde ou auprès de SDF, choisira de réfléchir pour son mémoire sur la notion de » personne « , tant philosophiquement que théologiquement.
Si le scolastique caractérise à sa manière et selon son goût le parcours commun, il ne joue pas cavalier seul : il bénéficie de l’aide d’un enseignant appelé » tuteur « . Au début, le tuteur fournit une aide concrète pour entrer dans le style pédagogique propre à cette formation intellectuelle, mais, peu à peu, les entretiens avec l’enseignant-tuteur deviennent un lieu de discernement, proprement intellectuel. Le scolastique élargit ainsi sa pratique du discernement à l’ensemble de son existence. Ce qui vaudra aussi pour son engagement apostolique.
Une expérience apostolique
Les jésuites représentent un peu moins de 40% des étudiants du Premier Cycle au Centre Sèvres… Dans le même parcours, ils côtoient des jeunes religieux et religieuses, des laïcs, hommes et femmes, de leur âge ou un peu plus âgés. C’est dire que le premier lieu où ils vivent, comme religieux, en relation avec d’autres, c’est le Centre Sèvres dont l’agora se prête on ne peut mieux aux échanges informels. Mais il y a des occasions plus structurées de se confronter à plusieurs sur une question difficile : les groupes de travail entre étudiants, les séminaires, des initiatives informelles à plusieurs, autant de moments où l’on s’exerce à débattre et à argumenter, ce qui est essentiel à la formation du jugement. Par là aussi passe l’apprentissage à la parole publique, brève ou plus construite.
Faire des études s’inscrit ainsi d’entrée de jeu dans un ensemble de relations qui permettent d’approfondir l’intelligence et le partage de la foi. C’est une dimension d’Église qui est ainsi vécue, même si l’activité n’est pas explicitement pastorale. Le scolastique peut aussi s’engager dans une aumônerie de lycée ou d’étudiants, faire partie d’une équipe de CVX ou d’un autre mouvement, accompagner des retraites de jeunes, collaborer à une œuvre jésuite. Tel autre travaille avec une association (les Scouts de France, par exemple), donne un coup de main dans un centre d’accueil (SDF, sida). Le choix de l’activité apostolique suppose un goût pour tel engagement, et peut changer au cours des quatre années du premier cycle.
Un regard en arrière sur les six premières années passées dans la Compagnie, sur les engagements qu’il a pris, sur les questions qu’il a choisi de travailler, ainsi que la confrontation de ses qualités propres avec les appels adressés à la Compagnie, préparent le discernement d’une orientation pour l’étape qui suivra le premier cycle : un travail apostolique à plein temps, durant les deux années de la » régence « .
Une expérience de vie religieuse
La communauté de la rue Blomet compte une quarantaine de membres, dix jésuites formés, trente scolastiques, dont plus de la moitié d’étrangers. La vie quotidienne y est rythmée par l’eucharistie, célébrée au milieu de la journée, et une prière du soir, au retour des cours. Le français est la langue du quotidien et des études (lire… et écrire !). C’est un effort ! La même expérience est si possible offerte aux scolastiques français, lorsqu’ils vont passer un semestre dans un autre centre de formation en Europe.
C’est à travers les échanges courants, les réactions quotidiennes, les discussions à table ou après un film, un dimanche après-midi passé ensemble, que l’on prend peu à peu conscience de la variété des cultures jésuites, des différentes façons de se représenter l’essentiel : la pratique des vœux, le désir de servir le Christ et l’Église, et ce que cela engage dans des contextes culturels différents. Les réunions de communauté (le lundi matin) et les groupes de partage (une réunion par mois, trois week-end par an, des repas pris ensemble) sont les lieux où se partagent, avec discrétion et simplicité, les convictions qui construisent les repères de la vie jésuite. Il s’agît aussi, à travers cette vie communautaire, de vérifier notre capacité à nous faire proches les uns des autres, pour devenir des compagnons, des » amis dans le Seigneur « .
Il n’y a rien de si joyeux que les « gaudiosa » de fin d’année (comment traduire ? soirée de variétés ? revue de cabaret ?) – tant avec l’ensemble des étudiant(e)s du Centre Sèvres, à la fin de l’année, qu’en communauté à la rue Blomet – pour entendre résonner sur le mode délicat de la plaisanterie ce qui fait les années du premier cycle : un étrange mélange d’efforts intellectuels, de découvertes apostoliques, de liens tissés profondément au-delà des cultures. C’est la joie qui domine : celle d’une année qui a fait faire un pas dans la vocation jésuite.
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