Gaël Giraud, jésuite, chef économiste de l’Agence française de développement (AFD) depuis 2015, y poursuit son action contre les excès de la finance mondiale et pour une économie plus juste. Avec Pèlerin, il revient sur le sens de ce combat.
Est-on à la veille d’une crise pire que celle de 2008 ?
Une nouvelle crise financière me semble probable avant 2020. Un signal parmi d’autres : les marchés financiers s’envolent, alors que l’économie réelle stagne en Europe de l’Ouest, au Japon et dans des pays émergents comme le Brésil.
Trop d’investisseurs ont profité des taux d’intérêt nuls – décidés par les banques centrales dans l’espoir de relancer la croissance – pour emprunter de l’argent bon marché et parier sur une hausse de l’immobilier ou des marchés financiers, au lieu de l’investir dans des entreprises capables de créer de vraies richesses et des emplois.
Aujourd’hui, ces actifs financiers dépassent leur valeur d’avant la crise des subprimes de 2008 ! Ces nouvelles « bulles spéculatives » éclateront tôt ou tard.
L’Europe risque-t-elle d’être touchée ?
Bien sûr. Nos banques ne sont pas plus solides qu’en 2008. Les réformettes adoptées depuis ne doivent pas faire illusion. Et comme les États ne peuvent pas prendre le risque de les laisser faire faillite, ils devront à nouveau se porter à leur secours lorsque la crise éclatera, pour limiter les dégâts. Or ces États eux-mêmes sont financièrement plus fragiles…
Quels autres signes avant-coureurs d’une crise voyez-vous ?
Le surendettement des acteurs privés. Les étudiants américains, par exemple, ont accumulé 1 500 milliards de dollars de dette. Ca peut sembler lointain, mais souvenez-vous que le désastre mondial de 2008 a démarré sur le marché des emprunts immobiliers américains, dits subprimes, qui paraissait aussi exotique à l’époque.
Je m’inquiète aussi des « bulles » spéculatives en Chine, dans l’immobilier et la finance.
Quid de la dette publique européenne, qui avait ébranlé l’euro en 2010, pendant la crise grecque ?
C’est un faux problème. Ce psychodrame autour des dettes publiques en Europe est invoqué, par certains dirigeants, comme prétexte pour imposer l’austérité budgétaire. La dette grecque n’est que de 300 milliards d’euros.
C’est à la fois peu au regard de l’ensemble de la zone euro (dont le PIB global est supérieur à 10 000 milliards), et impossible à rembourser pour l’État grec (dont le PIB s’est effondré en dessous des 200 milliards). Ces exigences assassinent économiquement la Grèce et y détruisent la démocratie.
Qu’est-ce qui peut nous sauver ?
Il faut vite réformer la sphère financière. Notamment en séparant vraiment les banques d’affaires d’un côté et les banques de crédit et de dépôt de l’autre, comme l’avait promis le candidat François Hollande.
On pourra ainsi, lors du prochain krach financier, laisser une banque d’affaires faire faillite sans menacer les dépôts de millions d’épargnants.
Y a-t-il un motif d’optimisme ?
Bien sûr : l’accord mondial sur le climat, conclu en décembre à Paris, est une immense victoire. La prise de conscience mondiale avance. La transition énergétique peut se mettre en place dès aujourd’hui en Europe. Renoncer aux énergies fossiles au profit d’énergies renouvelables, améliorer l’efficacité énergétique dans les bâtiments, l’industrie, les transports, permettrait à l’emploi de repartir.
Pourquoi la transition est-elle si lente en France ?
C’est un symptôme d’un mal plus général : l’aveuglement des élites. La transition énergétique est une évidence pour un paysan dans la Creuse ou un montagnard en Savoie, qui constatent déjà les effets du dérèglement climatique. Seuls les urbains, parmi lesquels les élites dirigeantes, ne le comprennent pas, car ils vivent « hors sol ».
En Europe de l’Ouest, un fossé s’est creusé entre le tiers diplômé de l’enseignement supérieur et le reste de la population. Le tiers supérieur a accès à tout, à la finance, aux médias, mais vit dans l’entre soi. Il ignore le reste du pays.
La preuve : quand une majorité de Français vote « non » en 2005 au référendum sur la Constitution européenne, les dirigeants n’en tiennent pas compte.
De même, aux élections régionales de décembre 2015, les grands partis de droite et de gauche ont parlé d’abord à l’élite du tiers éduqué supérieur, qui suffit à les maintenir au pouvoir. Les autres électeurs sont tentés par le Front national parce que leurs souffrances ne sont plus entendues par les gouvernants depuis au moins vingt ans.
J’attends qu’un candidat de la société civile, de la trempe de Nicolas Hulot par exemple, propose un programme démocratique de rupture. Il lancerait la transition énergétique et imposerait une réforme de la zone euro, sans renoncer à la monnaie unique comme le propose le FN de manière irresponsable.
Vous seriez candidat pour un tel changement à l’élection présidentielle de 2017 ?
(Il rit). Je suis religieux jésuite, directeur de recherche au CNRS, prêtre, économiste à l’AFD, j’ai assez de casquettes comme ça.
Justement, à quoi sert l’AFD ?
Cette banque publique à but non lucratif est l’outil de la France pour aider les pays du Sud à se développer. Chaque année, elle prête 8,5 milliards d’euros – ce qui ne coûte rien aux contribuables – et accorde 200 millions d’euros en dons. Nous aidons ainsi 70 pays. La moitié de cet argent va en Afrique, le reste, à des pays comme le Brésil, le Vietnam, l’Inde, la Turquie…
> Source : site Pèlerin
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