Mystique actif, François Xavier travaillait le jour, priait la nuit et dormait quelques heures. Dans ses lettres, il parle beaucoup de ses activités et peu de sa vie intérieure.
Mais en lisant les conseils qu’il donne à ses correspondants, le Père Xavier Léon-Dufour réussit à nous la dévoiler.
1 – Les temps de fondation
Mystique actif, François Xavier travaillait le jour, priait la nuit et dormait quelques heures. Nous avons une correspondance volumineuse : Saint François Xavier, Correspondance 1535-1552, Lettres et documents, (Traduction Hugues Didier), coll. Christus n° 64, Textes, Desclée de Brouwer/Bellarmin, Paris, 1987, 528 p. François Xavier parle beaucoup de ses activités et peu de sa vie intérieure. Cependant, en lisant les conseils qu’il donne à ses correspondants, nous pouvons nous assurer qu’il avait une vie intérieure intense.
Un témoin parle :
« De jour, il appartenait tout entier au prochain ; de nuit, il appartenait tout à Dieu. En cela, il fut véritablement un imitateur (segidor) du Christ qui, prêchant le jour, passait la nuit en prière » (XLD p. 114).
1a François Xavier actif à Paris
« François de Jassu y Javier, âgé de vingt-sept ans, sème des rêves, mais pas les rêves de Dieu. Voilà déjà huit années qu’il a délaissé le manoir paternel pour achever ses études au collège parisien de Sainte-Barbe ; proclamé maître ès arts, il enseigne la philosophie et rêve de conquérir un grand nom parmi les hommes. Il a décidé de devenir clerc, mais n’a point renoncé à une ambition, à ses yeux légitime. Déjà il a réclamé ses lettres de noblesse et il compte sans doute sur un solide appui en la personne d’un cousin, son aîné de quinze ans, l’illustre Martin de Azpilcueta qui, après avoir enseigné à Cahors, Toulouse et Salamanque, passe dans le monde catholique pour le plus éminent canoniste du temps. Un sang noble, une parenté intellectuelle de choix, le diplôme de maîtrise, pourquoi pas un jour l’épiscopat ? voire, en son siècle, un rôle de premier plan ? » (XLD p. 31).
1b Sa conversion
« Au moment même où il est mort à toute ambition terrestre, voici que le Christ suscite en lui des désirs à la taille du monde. Or il est surprenant de constater que sa vie ne change pas en apparence : peut-être son âme de feu songea-t-elle à transformer l’Université de Paris, évangéliser les campagnes, lutter contre les hérésies naissantes ? Si un désir trop humain germa dans son cœur, il fut réprimé : Rodriguès nous dit que François dut se surmonter et , loin de changer sa manière de vivre, continuer comme auparavant. Il enseignait Aristote, il enseignera Aristote, et ce, durant trois longues années ! Il ne devra même pas interrompre ses leçons pour se préparer aux vœux de Montmartre » (XLD p. 33) qu’il prononce avec six compagnons le 15 août 1534.
1c De Paris à Venise
Ils décident de se rendre à Venise pour rejoindre Jérusalem. « Parvenus à Meaux, ils tiennent conseil. Les circonstances ne sont guère favorables au voyage : il faut cheminer parmi les hérétiques et dans des pays hostiles tour à tour aux espagnols et aux français ; les routes seront enneigées, le froid rigoureux. Ils pourraient par suite tomber en quelque maladie, en quelque danger : devront-ils se séparer en petits groupes ? Ayant recommandé l’affaire à Dieu après la confessions des péchés et la réception de la très sainte Eucharistie, il sembla bon de marcher à pied comme cela avait été fixé auparavant ; mais, au lieu de vivre d’aumônes, ils emporteraient la somme d’argent nécessaire pour parvenir jusqu’à Venise… Enfin parvenus à Venise, ils retrouvent Ignace et décident de consacrer au soin des malades et à un pèlerinage à Rome les six mois qui les séparent de l’embarquement pour la Terre Sainte» (p. 56-57)
1d De Venise à Rome et retour à Venise
« C’est la première fois, selon Rodriguès, qu’ils faisaient route sous le régime de la pauvreté parfaite. Car ils ne subsistaient que des ressources mendiées de porte en porte et ne prenaient gîte pour le sommeil que dans les hospices publics, les granges, même les écuries. Mais, chose merveilleuse, malgré la fatigue, malgré leurs habits, chaussures et vêtements de dessous souvent trempés de pluies, ils ne prenaient aucun mal… Quant à la pauvreté, ils l’observaient véritablement à la perfection. Par exemple ils ne faisaient aucune provision et se contentaient de la nourriture suffisant au moment présent » … Après bien des péripéties, ils parviennent enfin à Rome, puis retournent à Venise où ils sont ordonnés prêtres. Répartis entre les cités de la République vénitienne, ils y prêchent hardiment la Parole de Dieu… » (p. 58-59).
2 – Le choix de la mission
2a De retour à Rome… ils se souviennent
Ne pouvant partir pour Jérusalem, Xavier revient à Rome. Nous sommes en mars 1538. « Il avait tant souffert de la fièvre, du froid, de la pauvreté et du manque de tout qu’il était pâle, maigre, méconnaissable… » (Monumenta) . « Le temps de l’épreuve était sans doute fini pour François : comme si être un homme éprouvé signifiait renoncer à l’emporter, mettre bas les armes, atteindre les limites de sa misère. Xavier est tout juste bon à donner quelques sermons dans l’église de Saint-Louis-des-Français, la langue lui étant sans doute plus familière que l’italienne. Il sert aussi de secrétaire à Ignace… Les Compagnons, rassemblés à Rome pour peu de temps, méditent sur les épreuves qu’ils viennent de subir. Parcourir les routes trempe le caractère, mais leur existence doit-elle consister en cela ? Dans le résumé des Constitutions futures de leur petite société, qu’ils présentent à Paul III dès le mois d’août 1539, ils font allusion à leurs récentes expériences. Puisqu’ils ont été eux-mêmes exercés dans ces sortes d’expériments, nul ne sera admis dans leur association, sinon après une longue et soigneuse épreuve… Décision prise à l’unanimité par les Compagnons qui avaient unanimement souffert » (p. 59-60).
2b Prêt pour une grande mission
Ordre du Pape : « Par les présentes, nous vous ordonnons de vous rendre aussi vite que possible dans les îles des mers Rouge, Persique et Océanique, et dans les provinces et localités de l’Inde, en deçà et au-delà du Gange, et au-delà et en deçà du promontoire dit du cap de Bonne-Espérance, territoire soumis au domaine temporel du roi Jean de Portugal… et de prendre soin par notre autorité de ce nouveau troupeau : les entretenir et confirmer dans la même foi, par la prédication de l’Evangile et l’explication des saintes lettres, les documents catholiques et les exhortations et exercices des bonnes œuvres ; et ceux qui n’ont pas encore connu la foi elle-même, de les inviter et amener à le connaître ; l’honorer et le garder » (Monumenta)… (p.134). Xavier avait ainsi les pouvoirs de « nonce apostolique »
2c Xavier et la mission : Vie en mer
«N’eût-il pas convenu que le nonce apostolique se fît agréer en acceptant les modestes honneurs et privilèges que le roi lui voulait conférer pour son voyage ?… De fait, François ne voulut pas même partager la table du gouverneur à laquelle il avait été généreusement invité : il prenait le régime ordinaire du bateau pour le répartir parmi les plus nécessiteux ; quant à lui, il vivait d’aumônes. Ayant élu son quartier parmi les pauvres et les malades ; il assistait les mourants. C’est ainsi que le « nonce apostolique » distribuait avec son pain le trésor des indulgences plénières. Quelques autres détails pittoresques ont été recueillis : il lavait de ses propres mains son linge et celui des malades et « semblait davantage être un matelot qu’un homme de si grand crédit ». Un rouleau de cordages lui servait de lit, une ancre d’oreiller ; il donnait lui-même les médicaments aux malades et lavait les commodités (los servicios)… » (p. 135-136)
3 – La vie quotidienne
3a Vie à terre : Inde, Moluques, Japon.
« Tout nonce apostolique qu’il est, François Xavier reste présent aux pauvres et aux malades. Son idéal semble, à en juger par la description qu’en fournit Teixeira, de vivre comme « un pauvre prêtre du pays » ; son habit était une sorte de fourreau sans manches. Si le majordome du collège tentait de troquer cet appareil contre une soutane un peu plus honnête, François en prenait une de coton. Au moment de partir pour la côte de la Pêcherie, on veut renouveler son vestiaire ; il accepte seulement des bottes et un parasol, à moins que ce ne soit un sombrero (chapeau). Il allait souvent pieds nus, dormait à la belle étoile et mangeait les produits du lieu. François veut surtout ne pas se singulariser. Comme tout homme il a besoin de se nourrir et il réclame bonnement à Mansilhas qu’un certain Antoine Parava lui soit dépêché, car, dit-il simplement : « j’ai besoin de lui pour me préparer à manger ». Rien d’extraordinaire apparemment ; le merveilleux gît précisément dans cette poursuite de l’ordinaire » (p.137).
3b Souci d’être en harmonie avec les habitants de ces pays…
Malgré « son mandat royal et son caractère européen… Xavier demeure pour tout apôtre un modèle d’adaptation… Premier pas vers cette adaptation : il ne faut pas étonner le prochain. Il faut suivre les coutumes du pays, si pénible cela soit-il, afin de ne pas surprendre, ni surtout scandaliser, afin d’être plus près de ceux qu’on aime.
« Les Japonais, nos frères et compagnons qui vont avec nous au Japon, nous disent que les bonzes japonais se scandalisent de nous s’ils nous voient manger de la viande ou du poisson. Nous, partons, décidés à garder continuelle abstinence plutôt que de donner du scandale à personne (22 juin 1549) ».
« François mit en pratique sa résolution ; mais il lui arriva, finesse de présence à autrui, de manger parfois un peu de ces aliments : il ne voulait pas laisser accroire que son abstinence lui faisait partager la conviction des bonzes. Eviter le scandale, c’est avoir souci de la foi d’autrui, plante délicate qu’un souffle risque de déraciner, c’est surtout ne pas faire de Jésus-Christ en sa propre personne une pierre d’achoppement à la foi naissante d’autrui. Aussi la crainte du scandale est-elle vive chez François. Il fait à ce sujet de continuelles recommandations : soit qu’on lui impute injustement une occasion de scandale, soit qu’il cherche à régulariser la situation de certains prêtres ou qu’il mette soigneusement ses missionnaires en garde contre tout apparence de scandale : mieux vaut réussir deux fois moins sans scandale qu’autrement… » (p. 180-181).
3c Pour se faire aimer … et faire aimer le Christ…
« Leçons et exemples de Xavier vivaient dans le cœur des missionnaires, c’est ce dont témoigne la lettre que le P. Henriquès écrit à Ignace :
« Maître François nous a recommandé et laissé par écrit de travailler à nous faire aimer des gens, car de cette façon nous ferons du fruit. Autant en raison de cette recommandation que parce que en soi la chose est nécessaire, nous avons soin d’agir de telle sorte que les gens soient bien avec nous.
Là-dessus nous éprouvons une grande consolation en voyant que les chrétiens du pays nous aiment énormément ; il s’ensuit qu’ils donnent crédit à nos paroles et font ce que nous leur recommandons. Cet amour, nous sentons que ce ne sont pas seulement les chrétiens qui nous le portent, mais aussi les païens et, pour autant qu’il paraît de l’extérieur, les musulmans ».
… Ainsi un peu de l’amour du Christ vivant aurait passé à travers son cœur et atteint le prochain à la racine dernière où il aimait, sans le savoir, le Christ » (p.207-209).
3d Activité et vie intérieure…
« Maître François priait surtout la nuit, lorsqu’il n’était pas vu et que les occupations du prochain lui en donnaient le temps » (un compagnon)… « Ce bienfait indispensable de la prière, François le manifeste surtout par sa conduite… Il recommande au P. Barzée et au P. de Heredia de noter par écrit les lumières accordées dans l’oraison :
« Par-dessus tout, cherchez de toutes manières à obtenir le sentiment intérieur de ce qui a été dit plus haut (spécialement le conseil sur l’humilité) en notant et consignant par écrit ce que Dieu notre Seigneur vous donnera particulièrement à sentir : là se trouve le germe de l’avancement spirituel… »
« Le mot sentir, que François affectionne, requiert une explication… Hérité de saint Ignace, il désigne souvent une connaissance devenue évidence, une expérience de connaissance concrète, semblable à celle que recommande saint Ignace : « Ce n’est pas l’abondance de savoir qui rassasie l’âme et la satisfait, mais de sentir et de goûter les choses intérieurement ». Cette expérience ne peut se réduire ni à un pur sentiment (de sensibilité) ni à une pure connaissance… mais se rapproche d’une opération émanant non pas de la seule intelligence, mais de l’être entier… ; une rencontre personnelle… L’apôtre va donc puiser au secret de la nuit la lumière dont il a besoin pour se décider, et goûter la paix, la satisfaction, la certitude d’être à sa place, de vivre comme vrai compagnon du Christ, à son pas » (p.111-120).
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