Arrivé en Inde en 1971, le P. Étienne Degrez sj vit aujourd’hui au Népal où, depuis 2013, il est engagé dans le travail de formation des jeunes jésuites, à Katmandou. Il témoigne de la présence des jésuites dans l’histoire du Népal et de la formation actuelle des jésuites dans son pays.
Le fait est historique mais peu connu : c’est un missionnaire jésuite, Joao Cabral, qui, le premier, fit connaître le Népal à l’Occident. Nous sommes en 1628. À sa suite, d’autres missionnaires jésuites, comme Johann Grueber et Albert d’Orville (janvier 1662), sont passés par Katmandou, en route du Tibet vers Agra, en Inde. Chaque fois, ils furent bien reçus. Au 18e siècle, des capucins italiens ont fondé trois paroisses : à Katmandou, Bhaktapur et Patan, les trois petits royaumes de la vallée de Katmandou. Lorsque, en 1769, Prithvi Narayan Shah, roi de Gorkha, unifia le pays – qui devint le ‘Népal’ au sens moderne – prêtres et chrétiens durent le quitter. Traversant la frontière indienne, ils s’installèrent à Chuhari, au Bihar où leurs descendants forment encore aujourd’hui une dynamique communauté catholique.
Deux siècles plus tard, trois jésuites, dont le père Marshall Moran (1906-1992), arrivent à Katmandou. Sur invitation royale un collège ouvre ses portes le 1 juillet 1951 à Godavari, dans la partie méridionale de la vallée de Katmandou. L’accueil est favorable. Aussi dès 1955 une section primaire est ouverte à Katmandou même (Jawalakhel) ainsi qu’une école pour filles. Pendant une trentaine d’années, l’apostolat est strictement éducatif et le collège est une institution scolaire de la province jésuite de Patna, en Inde, sans plus. Les restrictions sont drastiques : aucune autre école catholique n’est autorisée, permission est indispensable pour voyager hors de la vallée, et seul le service pastoral des étrangers leur est autorisé. Néanmoins, le Népal attire des vocations missionnaires : des jésuites américains de la province de Chicago-Detroit sont envoyés pour assurer le renouvellement du corps professoral. Certains deviennent éminents dans les domaines du bouddhisme, de l’histoire du Népal, ses culture et langue. En reconnaissance de leurs contributions académiques – et par libéralité royale -, quelques uns reçoivent la nationalité népalaise.
La formation des jésuites
À partir des années 1980, cependant, des novices (indiens) sont reçus dans la Compagnie de Jésus en vue d’être envoyés au Népal. Leur formation en est orientée dans ce sens. Un changement important intervient en 1984. Par suite de l’établissement de relations diplomatiques entre le Saint-Siège et le Népal, le pays est érigé en ‘Missio sui iuris’ (8 décembre 1984). Anthony F. Sharma, jésuite népali de Darjeeling en Inde, en devient le premier supérieur ecclésiastique. Le 5 mai 2007, comme ‘Vicaire apostolique’, il sera consacré évêque. De par sa monarchie, le Népal est ‘royaume hindou’ mais une certaine tolérance religieuse s’y établit, ce qui permet aux jésuites de développer leurs activités. Comme ‘Région dépendante’ de Patna depuis 1985, la Compagnie y met en route un programme de pre-noviciat. Étant donné le contexte socio-économique d’Asie du Sud il est important avant même l’admission en vie religieuse de vérifier les motivations des candidats, comme leurs qualités humaines de base : honnêteté, esprit de service, courage, ouverture sociale et religieuse, etc. Ici, le prestige social de la prêtrise – même hors du milieu chrétien – reste grand, sans parler des facilités économiques (pour les études…) et de la sécurité d’emploi ! L’attraction est forte mais ambiguë. Un discernement est nécessaire, dès avant le noviciat. Des déficiences en formation à la foi chrétienne, et la nécessité d’une maîtrise minimale de la langue anglaise nécessitent également une période de préparation au noviciat. Le Népal n’est pas l’Inde… Aussi, le pré-noviciat inclut-il également une familiarisation avec la montagne et ses peuples différents : le trekking fait partie du programme. De 1985 à 2018 quelque 250 jeunes gens, en grande majorité de l’Inde, ont participé au programme du pré-noviciat. 52 d’entre eux sont actuellement jésuites, soit en activité au Népal soit aux études ou en formation à l’étranger.
Les deux années de noviciat – initiation à la vie religieuse comme telle – se font à Kalimpong, près de Darjeeling en Inde. La troisième année de formation s’appelle ’juvénat’. Tout comme le pré-noviciat il est considéré comme indispensable dans ces régions. Les différents juvénats de l’Inde et Sri Lanka étant saturés, le Népal fut invité à ouvrir le sien, de nouveau avec ses caractéristiques propres de langue, de contacts religieux et vie de montagne. Il ouvrit en juillet 1989; le père Cap Miller en fut le directeur. Apprentissage de la langue et surtout de l’expression personnelle, écrite et orale, avec ouverture approfondie à la culture, au milieu socio-économique de la région sont les objectifs du juvénat, une période de formation jésuite qui a pratiquement disparu en Europe. Les difficultés causées par la guerre civile au Népal y mirent fin au tournant du siècle.
De 2011 à 2015, les anciennes installations de juvénat furent utilisées comme scolasticat pour ceux qui poursuivaient leurs études universitaires aux Facultés Saint-Xavier de Katmandou. Une collaboration s’établissait avec les Jésuites du Bangladesh qui n’obtenaient pas de visa d’études pour l’Inde. Cinq d’entre eux, membres de la province de Calcutta, furent les premiers étudiants. Neuf autres de la Région du Népal ont suivi le programme. L’objectif était de permettre à nos jeunes d’être en contact avec ceux de leur génération qui sont l’avenir du pays. Cependant, la désorganisation de l’université nationale et les meilleures possibilités de formation universitaire en Inde nous ont contraints à arrêter ce programme.
Depuis la 35e Congrégation générale, et sous l’impulsion du Supérieur Général, les provinces jésuites du sous-continent indien sont invitées, comme ailleurs dans le monde, à une plus grande collaboration et même union, si l’engagement apostolique en est amélioré. Ainsi, le Népal se rapproche de la province de Darjeeling (en Inde) qui est de même culture et langue népalies. Une des premières décisions prises tout récemment (2018) fut d’organiser un pré-noviciat commun, à Matigara, en Inde. Ainsi, la seule maison de formation jésuite au Népal, Kamal Niwas, changera d’affectation et sera confiée au centre social.
Les missionnaires jésuites font découvrir le Népal à l’Occident !
Le fait est historique mais peu connu : c’est un missionnaire jésuite qui le premier fit connaître le Népal – comme le Bhoutan – en Occident. L’Europe de la Renaissance était avide de ‘curiosités’ venant de l’Extrême-Orient. On commençait à découvrir les grands empires, Inde, Chine (avec ‘Cathay’) et Japon car ils bordaient les océans et des perspectives de commerce s’ébauchaient. Rien de pareil pour les nations perdues dans les montagnes, à des centaines de kilomètres de tout débouché maritime. A la recherche d’une voie terrestre entre la Chine et Goa, – moins risquée et plus courte – les jésuites envoyèrent les pères Joao Cabral (1599-1669) et Estevao Cacella (1585-1630) de Hugli (au Bengale) à Shigatsé au Tibet. Au voyage aller (1626) ils passèrent par le Bhoutan (le ‘Potente’) et au retour (1627) Cabral, seul, se rendant directement à Agra et Goa, passa par le Népal. Dans ces deux pays, d’après Cabral, ils furent fort courtoisement accueillis, recevant toute l’aide dont ils avaient besoin. Mieux: au Bhoutan, le roi fut si impressionné par ces ‘sages venus de l’Occident’ qu’il insista pour que les voyageurs restent auprès de lui. Ils durent promettre de revenir dès que possible avant d’être autorisés à poursuivre leur route vers le Tibet. Au retour, Cabral est le premier européen à traverser le Népal (janvier 1628). Pour ce qui était l’objectif de l’expédition, ce fut un échec: l’idée d’une voie terrestre pour les missionnaires se rendant en Chine fut abandonnée. Mais par ailleurs, le voyage fut extrêmement riche en découvertes et informations diverses sur ces régions inconnues. Cabral était fin observateur. Bien que constamment sur les routes et pistes il s’initiait à la langue, observait et prenait notes : coutumes et rites religieux, organisation social et politique, faune et flore… Fasciné il avait déjà tiré la conclusion que partageront quasi tous les orientalistes qui le suivront:« De ces pays, plus nous en apprenons, moins nous les connaissons ».
Le Népal est un pays sympathique, son peuple est divers mais toujours souriant. Il est à un tournant de son histoire: un ‘kairos’ paulinien qui invite à l’urgence. La démocratie y est balbutiante mais réelle, même si quelque peu chaotique. Elle se cherche. Malgré de fortes pressions étrangères l’Assemblée nationale a choisi l’ouverture religieuse, adoptant un régime constitutionnel séculier. Le Népal mérite notre soutien.
P. Étienne Degrez sj
Katmandou, Jesuit Training Centre
Le P. Étienne Degrez, originaire de Namur (Belgique), fait ses études de philosophie et sociologie à Louvain avant de partir en Inde en 1971. Il y étudie la langue bengalie (à Calcutta) et la théologie (à Pune, près de Bombay). Ordination sacerdotale en juin 1976 à Bruxelles. De retour à Calcutta, il dirige durant de nombreuses années un centre pour jeunes défavorisés situé dans les faubourgs sud de la ville, le ‘Shanti Nir Youth Center’, tout en s’occupant de la formation des jeunes jésuites de Calcutta. De 1997 à 2003, il est le Vice-Provincial de l’Inde à New-Delhi et, de 2003 à 2012, il est Assistant du Délégué pour les Maisons et œuvres internationales de la Compagnie de Jésus à Rome. Depuis 2013, il se trouve à Katmandou, de nouveau engagé dans un travail de formation des jeunes jésuites.
Une version synthétique de cet article a été publiée dans la revue Échos jésuites, 2018-2, p. 32-33.
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