Qu’évoque pour vous le mot « Inde » ? Le pays hindou, un pays de mystiques, le pays des castes ? Un pays émergeant comme une grande puissance dans le monde, la plus grande démocratie du monde, ou encore un pays trop peuplé avec plus d’un milliard d’habitants ? L’Inde, foyer de rencontres de différentes cultures, langues, religions, traditions culinaires, est tout cela à la fois.
Les jésuites en Inde et l’éducation
En Inde, le terme « jésuite » évoque d’abord « l’éducation ». Les jésuites y dirigent 38 universités, 5 écoles de commerce et d’administration et 155 lycées. Les institutions comme Loyola College à Chennai, St. Xavier’s à Mumbai et St. Xavier’s à Kolkata font partie du top 10 parmi les milliers d’universités que compte le pays.
La plupart de ces institutions sont reconnues par le gouvernement indien, c’est-à-dire qu’une partie des salaires des professeurs sont prises en charge par l’État. Beaucoup de personnalités, comme Abdul Kalam, l’ancien Président de l’Inde, Lakshmi Mittal, connu comme « le roi du fer » (ArcelorMittal), plusieurs premiers ministres d’états régionaux, des scientifiques etc. sont des anciens élèves de nos institutions.
90% des élèves de nos écoles sont des hindous et des musulmans. A cet égard, la formation intellectuelle des jeunes indiens est une sorte de contribution concrète et pertinente rendue par les jésuites. Ce qui est significatif dans les institutions des jésuites, c’est la transmission des valeurs humaines.
L’option préférentielle pour les pauvres, un choix de la Compagnie de Jésus, est une réalité dans les écoles, qui accueillent les élèves de milieux pauvres, comme les dalits (intouchables) et les tribals (populations indigènes), quelle que soit leur religion.
L’apostolat social
« L’amitié avec les pauvres fait de nous des amis du Roi éternel », écrit Ignace à la communauté à Padoue en 1547.
L’action des jésuites en Inde ne se limite pas seulement à l’apostolat de l’éducation. Parmi les autres domaines d’engagement des jésuites, il faut citer le plus important : celui de l’apostolat social. La première considération à avoir est la compréhension de la situation sociale et le contexte dans lequel nous vivons. Cela contribue à mieux servir les gens les plus affectés. Plus que la classe, la question de la caste joue un rôle important dans les inégalités qui existent dans la société indienne. De même qu’il a y un grand écart entre les riches et les pauvres, de même l’écart existe au niveau des castes. De plus, dans la plupart du pays il y a de multiples sortes d’exploitation de l’homme par l’homme. Plus de 40 millions d’enfants sont privés de leur enfance et soumis au travail forcé, parfois même dans des professions dangereuses. Les femmes continuent d’être objet d’exploitation sexuelle et économique. De nombreux hommes et femmes sont privés de leurs droits fondamentaux à la santé, à la nutrition, à l’eau potable etc. Depuis quelques années, il y a une espèce d’exploitation politique de la religion, par exemple dans le mouvement Hindutva, qui rend précaire la vie des minorités chrétiennes et musulmanes.
Face à une telle situation, le décret 4 de la 32e CG, est pour les jésuites de l’Inde un appel à plonger profondément et avec beaucoup d’engagement dans le domaine de la promotion de justice. A cet égard, il y a deux grands instituts sociaux (ISI – Indian Social Institutes) dirigés par les jésuites, l’un à Delhi (fondé dès 1951) et l’autre à Bangalore. Ils donnent des formations en « Social Analysis » (études sur la société), organisent beaucoup de programmes de conscientisation pour les dalits, les indigènes et les populations défavorisées, des ateliers sur l’identité, l’aliénation et la violence etc.
Dans la plupart des provinces, les jésuites s’engagent auprès de ces peuples qui ont besoin de notre aide. Pour présenter l’ensemble des activités de l’apostolat social, on pourrait faire la liste de toutes les institutions existantes mais la liste serait trop longue. Citons simplement le LITDS, la Société Loyola pour le développement intégral des populations indigènes, dans l’Andhra Pradesh, fondée en 1994 dans le but d’aider 140 villages indigènes. La Société Loyola travaille en collaboration avec d’autres associations caritatives. Dotée d’une clinique mobile, elle répond aux besoins de santé de la population et surtout des femmes enceintes dans les villages de l’intérieur où il n’y a aucun moyen médical. Elle offre une formation au personnel de santé et les emploie dans leurs propres villages. Beaucoup d’autres combats comme l’éradication du travail des enfants et leur éducation, le développement rural villageois, les programmes sur l’habitat, l’épargne, l’éducation et la formation professionnelle des marginaux, sont pris en charge par LITDS.
En 2017, l’Inde (1,290 milliard d’habitants) compte 17 Provinces et 2 Régions jésuites, 350 jésuites, dont 230 novices et 905 scolastiques. Elle fait partie de la conférence jésuite de l’Asie du Sud.
L’inculturation, le dialogue interreligieux et la théologie indienne
Dès les origines de la Compagnie en Inde, des jésuites comme Robert de Nobili, Jean de Britto, ou Beschi ont marqué la société indienne par leur adaptation. Ils sont entrés en dialogue avec la tradition hindoue à la fois classique et populaire grâce à leur maîtrise du Sanscrit, des Vedas et des Upanishads. Ce type de dialogue avec la culture indienne et hindoue est devenu un élément essentiel pour les jésuites ainsi que pour d’autres congrégations religieuses. Dans les facultés de théologie à Delhi et à Pune, l’insistance sur la connaissance de la culture hindoue est d’autant plus nécessaire que les chrétiens indiens sont considérés comme des étrangers. On peut dire qu’une théologie émanant d’une expérience indienne de la foi chrétienne est de plus en plus soulignée. Autrefois, on s’occupait d’indianisation de la théologie on cherchant une expression indienne aux concepts de la théologie occidentale mais, aujourd’hui, émerge en Inde une théologie indienne à partir d’une expérience indienne.
Nous avons plusieurs théologats régionaux (RTC). Dans chacun d’eux, la théologie se donne en langue vernaculaire et dans la culture où nous sommes appelés à travailler ensuite. Au cours de leurs études de théologie, les scolastiques sont obligés de rencontrer et de vivre avec des gens de milieux pauvres pour mettre en œuvre cette inculturation. Pour avoir une idée de la théologie indienne, on peut se référer aux publications de la Compagnie comme, Vidyajyothi Jounral of Théological Reflection, Jnanadeepa, Pune journal of Religious Studies et également aux livres édités par Gujarat Sahitya Prakash, une maison d’édition animée par les jésuites. Enfin, rappelons qu’en Inde, le contenu de la foi est le même que partout ailleurs dans le monde, mais la forme que prend l’expression de cette foi est différente. Ainsi, notre manière de prier s’inspire de la méthode de Yoga et la célébration de la liturgie se fait à la manière indienne.
Ashok Kumar BODHANA sj (Bruxelles, La Viale Europe)
(1e publication : 2011)
> En savoir plus sur l’action sociale des jésuites en Inde (JESA)