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Dialogue interreligieux, engagement pour les réfugiés… Les jésuites sont présents aux réalités musulmanes de l’Europe ; de Paris à Ankara, ces réalités sont plurielles. À partir de son expérience, le jésuite allemand Tobias Specker nous invite à la réflexion.
« Ne banalisez pas l’islam », tel était l’avertissement, en 1940, de Georges Anawati, dominicain égyptien et précurseur de Nostra Aetate, la déclaration du concile Vatican II sur les relations de l’Église avec les religions non chrétiennes. Cette invitation est toujours d’actualité. L’islam peut être banalisé de diverses manières. Il y a d’abord la superficialité du mépris : elle consiste à négliger la diversité et la complexité de 1400 ans d’histoire, à réduire cette religion à quelques versets du Coran et paroles du Prophète, et à l‘assimiler grossièrement à la violence et au terrorisme. Il y a aussi une superficialité de complaisance amicale : elle assimile cette autre foi, en l’embrassant œcuméniquement, sans respecter ses différences ni permettre de réelles remises en question.
Le souci de prendre l’islam au sérieux m’habite depuis plus de vingt années et m’a mené en des endroits bien différents. Lorsque j’étais délégué de l’évêque de Spire pour l’islam (2006-2010), ce furent les humbles mosquées de Ludwigshafen et de Mannheim, souvent installées dans d’anciens bâtiments industriels. J’ai fait l’expérience que la confiance peut grandir dans la rencontre personnelle et patiente. « Voici notre prêtre ! » : c’est ainsi que j’étais salué par des hommes grisonnants, assis un verre de thé à la main devant l’ancien bâtiment d’usine, dans une des rues les plus délabrées de Ludwigshafen. Une connaissance approfondie de l’islam n’était pas nécessaire, mais plutôt des petits gestes de respect sincère, comme la compréhension de la langue et de la culture turques.
Dans un tout autre contexte, j’ai fait l’expérience du dialogue, au cours de mon Troisième An : c’était dans les rues poussiéreuses d’un camp de réfugiés kenyan. J’y ai expérimenté la rapidité avec laquelle des conflits peuvent s’envenimer quand on les charge religieusement : des conflits de voisinage explosent littéralement lorsqu’on prétend que des chrétiens ont jeté un Coran dans la boue ou que des musulmans ont endommagé la clôture de l’église. Ici aussi, le dialogue suppose d’établir avant tout la confiance. Ce qui fut salutaire, ce fut un engagement commun – par exemple en faveur de personnes handicapées. Il était crucial que des musulmans s’engagent aux côtés de chrétiens. Un léger soutien théologique n’était pas inutile pour autant : pour rassurer prudemment et expliquer en quoi ma religion ne m’interdit pas de collaborer avec des personnes d’autres confessions, et qu’elle peut même suggérer et encourager cette collaboration. Dans le dialogue, christianisme et islam ne se font pas simplement face l’un à l’autre ; chacun découvre, souvent de manière décisive, des manières différentes de vivre sa propre foi.
Enfin, le troisième lieu où j’ai côtoyé l’islam est le monde de l’université. J’étais presque le seul chrétien parmi plus d’une centaine d’étudiants musulmans à avoir suivi, de 2010 à 2013, le nouveau programme d’études de théologie islamique. L’université était un véritable lieu d’expérimentation et de nouveauté : bien des choses, dans la théologie islamique, ne sont pas encore fixées. Quels sujets appartiennent à une étude sérieuse de la théologie islamique ? Qu’est-ce que la théologie en fait ? Quelles sont les traditions spirituelles pertinentes ? Et quelles sont les questions à repenser d’urgence ? C’est précisément parce que de nombreux étudiants mènent une vie musulmane engagée et qu’ils sont souvent les premiers dans leur famille à entreprendre des études universitaires que je n’ai guère expérimenté ces études comme éloignées ou détachées de la vie. L’ouverture mutuelle entre les étudiants et la rencontre faisaient partie du cursus des études : tous les étudiants en théologie islamique doivent obligatoirement suivre un module de théologie chrétienne ou d’études juives – c’était un défi réel, et pas seulement pour les étudiants, mais également pour les enseignants. Cela ne serait-il pas intéressant pour chacun d’entre nous et pour nos étudiants chrétiens ? Quel enseignement retenir de ces expériences ? Si nous voulons, comme jésuites, qu’une problématique soit prise au sérieux – qu’il s’agisse du dialogue interreligieux, de l’écologie, de l’engagement pour les réfugiés –, deux choses me semblent nécessaires. D’une part, il nous faut au moins un lieu où cette préoccupation soit vécue de manière exemplaire. Dans le cas du dialogue interreligieux avec l’islam, cela suppose un lieu où des jésuites partagent réellement la vie des musulmans. D’autre part, il faut aussi un lieu de réflexion sur le sujet. On a besoin de jésuites qui entreprennent des études d’islamologie ou de théologie islamique, qui soient capables d’aborder la religion et la culture de l’islam avec sympathie et sens critique. Le pape François a résumé l’objectif de ce débat en disant : « L’avenir réside dans la cohabitation respectueuse des différences, et non dans l’homologation d’une pensée unique théoriquement neutre ».
P. Tobis Specker sj,
Professeur de théologie à Francfort (Allemagne)
Des jésuites engagés dans le dialogue avec l’islam
Le groupe Les Deux Rives réunit une dizaine de jésuites de France, d’Espagne, d’Italie et de Turquie mais aussi d’Algérie et du Maroc, engagés dans le dialogue christianisme-islam. Cette année, leur rencontre annuelle, organisée par le P. Christophe Ravanel (Province jésuite du Proche- Orient et du Maghreb), a eu lieu à Toulouse.
Cet article a paru dans la revue Échos jésuites (printemps 2020), la revue trimestrielle de la Province d’Europe Occidentale Francophone. L’abonnement, numérique et papier, est gratuit. Pour vous abonner, merci d’envoyer votre mail et/ou votre adresse postale à communicationbxl [at] jesuites.com.
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