L’archevêque de San Salvador, Mgr Oscar Romero, connu pour sa défense des pauvres a été assassiné le 20 mars 1980 par un commando d’extrême droite. Il a été déclaré « martyr » et a été béatifié à San Salvador le samedi 23 mai 2015.
Prêtre à la théologie très classique – il était notamment proche de l’Opus Dei –, Mgr Romero était déjà évêque à Santiago de Maria au Salvador alors qu’il fut nommé archevêque de San Salvador en 1974. Un jésuite espagnol, Antonio, dirigeant à l’époque une ONG au Salvador lui envoie un télégramme : « Lo lamento » (je regrette beaucoup cette nomination). Antonio me racontera en 1998, avec beaucoup de respect et d’affection pour Mgr Romero, l’histoire suivante.
Juste après la mort de Rutilio Grande sj, au cours d’une réunion des acteurs pastoraux de l’archidiocèse, lors d’une pause où plusieurs prêtres, dont ce jésuite, fumaient une cigarette, Mgr Romero demande à un prêtre : « Que dois-je faire pour être un bon évêque ? ». Le prêtre diocésain lui répond : « Ici à San Salvador, vous mangez des chocolats avec des vieilles dames riches de la bonne société. La semaine compte sept jours, passez en cinq « en el campo » et deux dans la capitale et vous serez un bon évêque ». Romero lui répond : « Comment vais-je faire ? Je ne peux pas prendre rendez-vous avec eux (les campesinos) ». Le prêtre : « Nous nous en chargeons ». Et ainsi chaque semaine les prêtres l’invitèrent dans tous les villages où l’armée venait juste de tuer des gens dans ce pays (6 millions d’habitants sur 21 000 km2) profondément blessé, soumis à une dictature militaire puis plongé dans la guerre civile.
Mgr Romero en revint bouleversé : « Mais je ne vois que des morts ! ». A son retour, Il se mit à réunir chaque samedi matin un petit comité : 2 vendeurs de la rue, 2 syndicalistes, 2 hommes d’affaires, 2 paysans, 2 religieuses, 2 prêtres, le Père Ellacuria sj (abattu avec 5 compagnons et 2 employées de la maison en 1989), son vicaire général et d’autres. Il leur racontait ce qu’il avait vu en el campo pendant la semaine. Ils lisaient les lectures de la messe du lendemain et il leur demandait de dire ce qu’ils entendaient.
Le lendemain, dimanche, Mgr Romero était dans la cathédrale à 6h pour prier. A 8h il célébrait et prêchait à partir de ce qu’il avait entendu. La cathédrales et les deux places devant et derrière étaient noires de monde (15000 personnes). Son homélie était retransmise par radio ; il était la seule voix qui donnait des informations dans un pays où les média étaient bâillonnés. Tout le pays l’écoutait : paysans dans les campagnes, gens des villes, prêtres, gouvernement, militaires… Il s’engageait alors vigoureusement dans la dénonciation des assassinats et de l’injustice sociale et dans la défense des droits des pauvres, tandis que la population du Salvador subissait les exactions commises tant par la junte au pouvoir que par les groupes paramilitaires d’extrême droite. Plusieurs fois l’émetteur radio a été détruit et reconstruit.
Le samedi 12 mars 1977, trois semaines après sa nomination au siège de San Salvador, Mgr Romero va tout de suite se recueillir au lit de mort du Père Rutilio Grande, curé d’Aguilarès (1972-77) qui cherchait à mettre en œuvre les orientations de la première grande réunion du CELAM à Medellin (1968). Il est bouleversé par l’assassinat de son ami jésuite – « a quien siento como un hermano »- qu’il avait choisi comme cérémoniaire de son ordination épiscopale et avec lequel il avait collaboré au grand séminaire.
Pour Antonio[1], il n’y a pas de doute : le premier miracle du Père Grande est la « conversion » de Mgr Romero qui disait : « Quand je vis Rutilio, étendu mort, j’ai pensé que s’ils l’avaient tué pour ce qu’il avait réalisé, alors moi aussi j’avais à avancer sur le même chemin ». Le lundi, jour de l’enterrement de Rutilio, l’archevêque s’engage peu. Dans les jours qui suivent, il va beaucoup réfléchir avec les prêtres, les religieuses et les laïcs au cours de réunions interminables : que faire face à la mort de Rutilio ?
Dans ces assemblées nait l’idée d’une messe unique dans tout le diocèse à la cathédrale. Il prend sa décision avec l’assentiment de beaucoup : aucun curé ne dira la messe nulle part. Malgré la loi martiale qui interdit toute réunion publique, le dimanche suivant, le 20 mars, l’archevêque présidera une seule messe (dans tout le diocèse) en plein air : 200 prêtres et 100 000 personnes autour de la cathédrale. Les chrétiens unis face à un crime d’une telle gravité. Son homélie est un beau plaidoyer en faveur de la libération.
Ces gestes publics forts vont aller en s’amplifiant par la suite. Quelques mois plus tard Mgr Romero enterre Navarro, un jeune prêtre de son diocèse assassiné lui aussi, puis un second. Là, devant la mort de ses jeunes prêtres, il parle et ne se retient plus : « Il parla de manière formidable (tremenda) » se souvient Antonio. Une sœur dira : « Le Père Rutilio a été le Précurseur du grand prophète qu’a été Mgr Romero ».
Le 17 février 1980, Mgr Oscar Romero, écrivait à Jimmy Carter, président des États-Unis. Il exprimait dans cette lettre son inquiétude au sujet du rôle des États-Unis dans la profonde crise secouant alors le Salvador. Il lui demandait d’interdire la formation de combattants et l’envoi d’armes à la junte militaire au pouvoir, et de ne pas peser par d’autres moyens sur l’autodétermination du peuple salvadorien.
L’assassinat de Mgr Romero par des membres de groupes paramilitaires liés à l’armée est survenu cinq semaines plus tard, le lundi 24 mars 1980. La veille, dans son homélie dominicale, Mgr Romero s’était adressé aux membres de l’armée : « Au nom de Dieu et au nom de ce peuple souffrant dont les lamentations de plus en plus fortes s’élèvent chaque jour jusqu’aux cieux, je vous supplie, je vous en prie, je vous l’ordonne, au nom de Dieu : Cessez la répression ! ».
La réponse ne s’est pas fait attendre : le lendemain, il était assassiné alors qu’il élevait l’hostie à la consécration. C’était la messe de 18h15, il faisait nuit dehors, les portes de la chapelle étaient ouvertes, il était facile d’entrer en voiture sur le parking de l’hôpital, de stationner devant la porte grande ouverte et de viser avec un fusil à lunette ; c’était à l’hôpital de la Divine-Providence de San Salvador, hôpital pour des femmes cancéreuses pauvres tenu par des carmélites apostoliques, où Mgr Romero résidait et dormait chaque nuit. Il connaissait ce risque, il avait offert sa vie. Les paysans diront : « S’ils ont pu assassiner Monseigneur, alors nous n’avons aucune chance devant cette force armée ».
Mgr Oscar Romero a été déclaré « martyr », tué « en haine de la foi », selon la formule définissant le martyre. Les campesinos l’aimaient et il aimait son peuple. Il disait : “Con este pueblo, no cuesta ser buen pastor” (Avec ces gens, pas difficile d’être un bon berger.)
P. Jean-Marc Furnon sj
[1] On peut lire les témoignages des jésuites Antonio Fernandez Ibanez et César Jerez (ancien Provincial d’Amérique centrale) dans le livre de Maria Lopez Virgil, Oscar Romero, Esquisses pour un portrait, Ed. Karthala, 1993, p. 89-92.
> Photo : © Jésuites.org
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