Noël au Kenya : « une joie et une simplicité qui ont fait éclater le sens du mystère de Noël »

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Le P. Pierre Molinié sj a effectué son troisième an au Kenya en 2018. Lors de vacances familiales, il improvise une messe de Noël qu’il pensait célébrer en petit comité mais qui va finalement rassembler des chrétiens venus du monde entier. Récit.

« Lors de mon troisième an que j’ai eu la chance de passer au Kenya,…
ma famille est venue me rendre visite pour les congés de Noël 2018.  Nous avions donc prévu de consacrer quelques jours à visiter l’un des grands parcs, le Masaï Mara, où abondent éléphants, girafes, buffles, léopards, et bien sûr des centaines de milliers de gnous, de zèbres et d’antilopes. En revanche, cette région est quasiment dépourvue de villes ou de villages : lorsque nous avions inauguré une école quelques semaines plus tôt, il s’agissait de quelques salles de classe construites au milieu de la brousse. Comment, dès lors, trouver une église pour célébrer la messe de Noël ?

Un jésuite qui tombe à pic

N’ayant pas réussi à obtenir de renseignements sur une éventuelle messe paroissiale dans la région, j’avais pris avec moi le nécessaire pour pouvoir célébrer la messe, et pensais le faire en petit comité. Mais en arrivant au lodge, j’ai quand même expliqué à la réception que j’étais un prêtre catholique et que je serais heureux de pouvoir célébrer la messe avec ma famille quelque part. J’imaginais que, peut-être, d’autres touristes pourraient être intéressés. Mais ce n’est pas du tout cela qui s’est passé : nous avons été conduits dans la partie réservée aux employés, un quasi-village avec son café pour les chauffeurs, sa télévision en plein air et ses deux chapelles en tôle ondulée (une pour les catholiques, une pour les protestants).

Notre première réaction était assez négative : dans la nuit noire, dans une région infestée de moustiques, nous nous retrouvions dans une petite salle aux fenêtres dépourvues de vitres, et dont les néons attiraient toute sorte d’insectes, recouvrant la nappe de l’autel et s’insinuant dans mes propres vêtements liturgiques. De plus, je comptais initialement célébrer en français pour que mes neveux puissent participer ; je pouvais éventuellement passer à l’anglais… mais comment intégrer les quelques fidèles qui, de toute évidence, ne parleraient que swahili, langue communément parlée en Afrique de l’Est, en particulier au Kenya et en Tanzanie ?

Des chrétiens de plusieurs continents réunis autour du mystère de Noël

Finalement, vers 19h30, nous avons commencé la célébration. Malgré cet horaire peu favorable, le personnel étant occupé, une trentaine de personnes sont venues nous rejoindre : des employés originaires de tout le Kenya, notamment de régions où les catholiques sont plus nombreux (le centre et l’Ouest du pays). Parmi eux, un groupe de jeunes filles chargées du ménage, qui avaient pu se libérer pour ce moment de prière. Après le chant d’entrée, entonné par l’un des plus âgés – que j’allais identifier comme le leader de cette communauté de diaspora – et accompagné au tambour par quelques femmes, j’ai proposé à chacun de se présenter, en quelques mots. Chacun s’est exprimé brièvement… jusqu’à ce que ce catéchiste prenne la parole et exprime sa profonde reconnaissance : nous avons alors appris qu’il y avait bien un prêtre chargé de ce secteur, mais qu’il ne passait qu’une ou deux fois par an chez eux.

Sans notre présence inopinée, jamais ces hommes et ces femmes n’auraient pu célébrer l’eucharistie pour Noël. L’émotion qui était palpable dans son discours a touché chacun, et tout particulièrement mes neveux. Ces derniers, qui avaient entre neuf et quatorze ans, ne sont pas des piliers de sacristie… et ils découvraient brutalement que des chrétiens, et même des enfants de leur âge, vivaient comme une chance extraordinaire de pouvoir assister à une messe ! Ils découvraient aussi, dans le même temps, que ces enfants ou ces jeunes filles étaient déjà au travail, ou enceintes pour certaines d’entre elles.

Ainsi, notre célébration rassemblait dans une pauvre église de tôle ondulée des chrétiens de plusieurs continents, des enfants et des adultes, de pauvres travailleurs et de riches touristes en vacances… et tout cela dans une joie et une simplicité qui, au moins autant que les lectures, faisait éclater le sens du mystère de Noël.»

P. Pierre Molinié sj

> Qu’est-ce que le troisième an ? :

« Dans le cadre de la préparation aux derniers vœux, la Compagnie propose au jésuite de vivre un temps de recul analogue à l’expérience fondatrice du noviciat : pendant un temps de six à neuf mois, le jeune prêtre se retrouve avec un groupe d’une dizaine de compagnons venus du monde entier. Avec eux, il partage une relecture de vie, une grande retraite de trente jours, un partage sur les textes fondateurs de notre spiritualité (les Exercices spirituels, les Constitutions de la Compagnie, les Congrégations générales les plus récentes…) et un expériment d’un à trois mois – une expérience apostolique exercée dans un domaine différent de celui où il travaille habituellement. »

> Pour en savoir + sur la formation des jésuites

> Mon troisième an au Kenya :

« Le provincial m’a proposé de vivre ce temps de 3e an en Afrique – une idée qui ne m’avait jamais effleuré l’esprit, mais qui m’a immédiatement séduit. Comme jésuite en formation à Saint-Denis, puis comme prêtre dans une paroisse populaire de Lille, j’avais en effet eu la joie de vivre dans des communautés paroissiales fortement nourries par la présence de croyants originaires d’Afrique noire ; comme enseignant au Centre Sèvres, je me trouvais également en position d’accueillir et de former de nombreux étudiants du continent africain. Comment ne pas accueillir comme une chance de pouvoir, à mon tour, faire l’expérience d’être accueilli dans une culture différente de la mienne et de me retrouver, comme Blanc, dans la situation d’être identifié comme étranger ?

Laissé libre de choisir entre plusieurs pays d’Afrique, je me suis laissé conseiller par des compagnons et des paroissiens africains, qui m’ont dit de manière quasi unanime : Va au Kenya ! J’ai donc fini par obéir tout à la fois au provincial, à mes amis et, à travers ceux-ci, à l’Esprit qui confirmait tout cela par une grande joie à la perspective de ce voyage. Enfin, le troisième an ne commençant qu’au mois de janvier, j’ai pu partir trois mois plus tôt. Mis au service du centre Foi & justice (Hakimani) de Nairobi, j’ai pu profiter de plusieurs missions pour m’imprégner de la culture kényane et découvrir les grandes régions de ce pays.

La province jésuite d’Afrique orientale couvre six pays (Éthiopie, Kenya, Ouganda, Soudan, Sud-Soudan et Tanzanie). À lui seul, le Kenya compte une soixantaine de tribus réparties entre les côtes de l’Océan indien (où fleurissent les vestiges de l’occupation portugaise et les traces de saint François-Xavier !) et les rives du lac Victoria. Au sein de la province de grands peuples partagent une culture d’éleveurs nomades, comme les Turkana et les Samburu au Nord, et les Masaï dans tout le sud du pays. Les jésuites ont peu de contact direct avec ces peuples ; néanmoins, par le biais de l’apostolat social, plusieurs missions les rejoignent. Ainsi, lors de mes premiers mois sur place, j’ai participé à une mission de trois jours dans une paroisse Samburu pour sensibiliser familles et éducateurs à la protection de l’enfance ; à une mission de peace building d’une semaine dans le Nord du pays ; et à un voyage de trois jours chez les Masaï à l’occasion de l’inauguration d’une école soutenue par les jésuites. Puis, peu de temps avant le début du 3e an proprement dit, les vacances de Noël – le Kenya étant chrétien à 85 %, les vacances sont bien respectées ! – sont venues mettre un terme à mon travail au centre social, et j’ai eu la joie d’accueillir ma famille pour une quinzaine de jours. »

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