Jacques CHARMET était arrivé en Afrique en 1971. Avant cela il avait multiplié les services dans le sud de la France : préfet des études à Marseille, recteur du Collège d’Avignon, vice-recteur puis recteur à Aix, ministre du Collège Saint-Michel à Saint-Étienne puis de Fourvière à Lyon-Fourvière. A 48 ans, le voici à Abidjan, toujours ministre.
Son attention aux compagnons et sa douceur bienveillante, mettaient en confiance, ouvraient la voie à une relation personnelle sans distinction de statut social, jésuite renommé, expert international, jeune scolastique, employé de l’INADES ou ami de la chapelle. Sa manière d’écouter, de se rendre totalement présent à ses interlocuteurs sans chercher à les séduire ou les dominer, mettait à l’aise. Il y avait en lui une transparence, une clarté intérieure qui faisait taire tout soupçon de malveillance. Cette bonté qui lui était propre, s’épanouissait dans un sourire joyeux qui invitait au dialogue.
La menace d’une arthrose généralisée, cette maladie familiale qui avait paralysé et emporté son père puis sa sœur ainée, l’obligeait à faire chaque jour plusieurs heures d’exercices physiques. Il savait que l’on ne triche pas avec son corps, pas plus qu’on ne triche avec Dieu. Le secret de sa douceur joviale est à chercher dans sa relation au Seigneur et à la Compagnie de Jésus. Il aimait cette petite Compagnie. Il avait été façonné par la spiritualité ignatienne ; il voulait la transmettre, faire mieux connaître la Compagnie aux jeunes.
Après une année sabbatique au Centre Spirituel du Châtelard près de Lyon, il revint à Abidjan en 1984 avec le projet de fonder un « groupe ignatien », pour rendre plus accessible aux laïcs la pratique du discernement des esprits en vue d’une décision, et pour organiser des week-ends et retraites. Grâce à lui, avec l’aide de religieuses ignatiennes, ce groupe a pu naître et s’épanouir. Il sera le premier de la Province. D’autres groupes se constitueront à Yaoundé, Douala, Ouagadougou.
De la profonde amitié qu’il a entretenue jusqu’à la fin de sa vie avec le Père Michel Rondet, son conovice, et de son expérience de Recteur du Noviciat de La Baume puis du Juvénat des Frères en Espagne, il gardera le souci de la formation des jeunes jésuites, en particulier des Frères, le goût de la pauvreté et de la vie communautaire. L’ouverture en 1983 du CELES, une maison d’étudiants jésuites, sur le terrain de l’INADES, fit naître en lui beaucoup d’espérance. Envoyé comme Père spirituel et ministre, il participa directement à la formation d’une nouvelle génération de jésuites. Hélas, la tâche ne fut pas facile. Le CELES fermait ses portes quelques années plus tard.
Après 19 ans en Côte d’Ivoire (à l’INADES puis au CELES), Jacques passera encore 4 ans au Cameroun, comme ministre, puis supérieur de la communauté du collège Libermann à Douala, avant de rentrer définitivement en France en 1994 où il servira 17 ans à Montpellier comme animateur spirituel de l’Espace Manrèse, puis 7 ans dans l’EPHAD de la Chauderaie, à Lyon, où il s’éteindra à 95 ans en juin 2018.
Trois jours avant qu’il ne rende l’âme, il me disait dans sa chambre ce qu’il m’avait souvent dit à Abidjan « Tu sais… je suis un homme foutu. La carcasse s’en va de partout ». Puis il s’est tu avec ce sourire sur le visage qui me laissait entendre une musique tout intérieure « Le Seigneur m’a eu. Finalement c’est ce moment que j’attendais ».
Alain RENARD sj (Douala)