Comment répondre à la forte aspiration des jeunes à une conversion écologique de notre société ? Le P. Xavier de Bénazé sj estime qu’il faut leur proposer des formations à la hauteur de l’enjeu, basées notamment sur l’expérimentation et l’expérience communautaire.
« Nous, étudiants en 2018, faisons le constat suivant : malgré les multiples appels de la communauté scientifique, malgré les changements irréversibles d’ores-et-déjà observés à travers le monde, nos sociétés continuent leur trajectoire vers une catastrophe environnementale et humaine. »Ainsi commence le Manifeste étudiant pour un réveil écologique, lancé à la rentrée 2018 par quelques étudiants de Grandes Ecoles en réaction au choc de la démission de Nicolas Hulot. Trois mois plus tard, il a été signé par plus de 25 000 étudiants en France. Et des initiatives similaires se répandent en Suède, en Allemagne et dans d’autres pays européens.
La compréhension de ce qui se passe aujourd’hui sur notre planète est donc un acquis pour cette génération. Le désir de changement aussi : « Nous sommes de plus en plus nombreux à penser qu’un changement radical de trajectoire est aujourd’hui l’option qui nous offre les perspectives d’avenir les plus épanouissantes. » Le tout avec une conscience que cela passera par un changement de mode de vie et de consommation à leur niveau personnel : « Nous, futurs travailleurs, sommes prêts à questionner notre zone de confort pour que la société change profondément. »
Devant ce texte, on peut judicieusement se demander : ces jeunes ont-ils encore besoin d’être formés, eux qui paraissent largement en avance sur leur société et les générations qui les précèdent ? La question est bonne, et si elle peut nous amener à nous mettre nous-mêmes en route pour nous former et tâcher de trouver des réponses aux crises sociales et écologiques de notre temps, disons « merci » à ces « étudiants en 2018 ».
Mais cela ne veut pas dire qu’il n’y a plus besoin de formation à la transition écologique et sociale pour ces jeunes. Ils le constatent eux-mêmes : « Nous sommes déterminés, mais ne pouvons pas agir seuls… [pour]… changer un système économique en lequel nous ne croyons plus. »
Les enjeux d’une formation
A partir de mon expérience, en particulier comme membre du Campus de la Transition qui se veut précisément être un lieu de formation à la transition écologique et sociale de nos sociétés, je vois quatre lieux de formations essentiels pour les étudiants aujourd’hui :
- Continuer une formation exigeante, que ce soit en sciences « dures » ou en sciences « sociales ». Si les étudiants peuvent aujourd’hui poser un constat si clair sur le monde, c’est qu’ils ont reçu une formation intellectuelle sérieuse et de qualité. Cet effort doit continuer.
- Offrir des lieux d’expérimentation pour mettre en œuvre leurs désirs de conversion écologique. Ces lieux manquent ou sont souvent complètement dissociés des lieux d’enseignement supérieur. Or il est capital que la phase de formation soit non seulement intellectuelle, mais aussi manuelle et artistique. Pourquoi ne pas, par exemple, apprendre l’économie et en même temps, sur le même campus, la gestion d’un potager partagé ?
- Faire vivre une expérience communautaire. Comme le soulignent les étudiants du Manifeste, seuls ils ne peuvent rien faire. Cependant, venant majoritairement de familles, aux fratries réduites et d’une société individualiste, les jeunes ont finalement peu d’expérience de vie collective, de décisions en groupe avec des personnes diverses. L’apprentissage de la vie en commun est donc nécessaire pour beaucoup. L’expérience communautaire est par ailleurs essentielle pour la conversion écologique de chacun, car elle permet de ne pas porter seul le poids du monde, de partager les bonnes pratiques et les expériences raté.
- Introduire à une vie intérieure et éthique. Membres d’une société liquide qui n’offre plus de grands repères collectifs et partagés, un certain nombre de jeunes se trouvent pris dans des débats intérieurs sans fin, parfois submergés par l’angoisse née de la situation de crise que notre planète traverse. Il y a alors un réel enjeu pour introduire ces personnes à la richesse des sagesses humaines en ce qui concerne l’attention à la vie intérieure de chacun et à la dimension éthique de nos vies personnelles et collectives.
En bref, si les jeunes générations sont plus alertes sur notre nécessaire conversion écologique et sociale, elles sont aussi en attente de formation qui permette de répondre aux questions de ce défi planétaire. La conviction du Campus de la Transition est que cette formation doit être intégrale, impliquant la tête, les mains et le groupe pour espérer toucher les cœurs. Depuis six mois que nous testons cette pédagogie, nous en voyons déjà les premiers fruits, en particulier dans la joie de celles et ceux qui viennent partager notre table et nos échanges. L’aventure continue et elle n’est pas prête de s’arrêter. Pour inventer un nouveau monde et de nouveaux modes de vie, tout est à reprendre, à reformer. La tâche de (re)formation est donc immense !
L’auteur, le P. Xavier de Bénazé sj, est membre du Campus de la Transition
Xavier de Bénazé est ingénieur agronome et jésuite depuis sept ans, actuellement en mission pour deux ans pour aider au lancement du Campus de la Transition. Situé au château de Forges (77) mis à disposition par les sœurs de l’Assomption, avec ses 5000 m² de bâti et ses 6 ha de parc, le Campus de la Transition a été lancé par des enseignants-chercheurs et des cadres, rejoints par des profils divers : résidents au château ou amis de passage, en retraite ou encore aux études, réfugiés ou fins connaisseurs de la Seine-et-Marne, écologistes de longue date ou novices en transition… avec pour projet de contribuer, principalement par le levier de la formation supérieure, à dessiner la transition écologique et sociale.
Pour approfondir
« YouthForClimate : entendons les cris de nos enfants », par le P. Xavier de Bénazé sj, qui est intervenu sur le thème « La planète en danger » le 26 mars dans le cadre des Conférences de Carême de l’église Saint-Ignace à Paris. > Lire l’article
> Source : article paru dans la revue Vie Chrétienne du mois de mars/avril 2019
> Photos : © Vie Chrétienne