Dans le vaste chantier pour « réparer l’Église », notre Province jésuite poursuit son travail d’accueil des victimes et de prévention. Écoute, vigilance, prudence et formation sont les maîtres-mots de son action. Le Père Thierry Dobbelstein, chargé de l’accueil et de l’écoute des victimes, apporte son témoignage et fait le point sur les initiatives concrètes portées par les jésuites.
« Vous avez pu, grâce à vos mots, m’aider à sortir du déni entretenu par mes parents et par la plupart de nos proches. Le déni, ce fléau psychique, que les institutions catholiques ont pratiqué si longtemps, et continuent trop souvent encore à servir. (…) Vos mots m’ont fait du bien et même fait pleurer quand j’ai lu votre lettre à mon mari. Soyez-en remercié. Ne cessez pas de combattre le déni. »
Ces quelques mots m’ont été adressés par une victime d’un jésuite. Ces mots m’ont touché ; ils m’ont aussi encouragé à poursuivre cette mission essentielle : recueillir des témoignages au sujet de jésuites qui ont blessé, agressé, parfois violé. Comme jésuite et prêtre, je savais que j’étais appelé à me rendre proche de personnes souffrantes, à les écouter, à me laisser toucher, à consoler, à oser des paroles de libération. Je m’attendais à ce que ces blessés de la vie soient victimes de la maladie, de l’âge ou des injustices du monde. Je n’aurais pas imaginé qu’il s’agirait de victimes de jésuites et de prêtres ! Cela fait mal…
Entendre la douleur
Les témoignages sont poignants. Chaque personne victime est unique, chaque expérience est unique, la manière dont chaque personne vit le traumatisme est unique. Dans la diversité des personnalités et dans la variété de la nature des abus, il y a pourtant une unanimité : la profondeur de la blessure est décuplée par l’identité de l’agresseur. Une victime me disait : « On l’appelait ‘mon Père’, c’est donc un inceste que j’ai vécu ». Un spécialiste nous a éclairés à ce sujet : « Quand l’agression sexuelle est le fait d’un prêtre ou d’un religieux, c’est toujours en même temps un abus spirituel ».
En fonction des pays, la sortie du silence a été vécue à des époques différentes. Il y a une quinzaine d’années, on pensait que ces problèmes étaient propres aux pays anglo-saxons. Puis il y eut la Belgique (2010) et les Pays-Bas. Récemment, ce fut au tour de la France. La CIASE (Commission pour les Abus Sexuels dans l’Église), appelée à faire un travail de vérité sur ce qui s’est passé, est à l’œuvre depuis une année.
La CIASE a recueilli plusieurs milliers de témoignages de victimes… et ce n’est pas fini : il faut toujours beaucoup de courage aux victimes pour mettre des mots sur ce qu’elles ont vécu : d’abord se reconnaître comme telle, puis oser le révéler. L’émission d’Arte « Sœur abusées, l’autre scandale dans l’Église », diffusée en mars 2019, et plus récemment les révélations sur Jean Vanier ont provoqué une véritable sidération dans tous les pays de notre Province jésuite. De nouvelles personnes se sont adressées à notre Cellule d’accueil et d’écoute, en France et en Belgique ; la majorité de ces témoignages concernent des abus sur personnes majeures.
Aider les victimes à témoigner
Que faisons-nous, nous jésuites, pour aider les victimes à témoigner ? Il est essentiel de faire savoir aux victimes que leur parole est importante. Nous avons ainsi communiqué largement sur l’existence de notre cellule : via la presse, en juillet 2019, avec une interview du Provincial et un communiqué appelant les victimes à rompre le silence. Il s’agissait de répercuter en France l’appel à témoignage de la CIASE, d’attirer l’attention sur notre cellule d’accueil et d’écoute ; c’était aussi l’occasion de préciser le nombre de cas qui concernaient des jésuites et le nombre de victimes qui nous avaient déjà contactés. Ce communiqué a été transmis aux associations d’anciens élèves de collèges jésuites afin qu’elles répercutent l’appel à témoignage.
Notre message est clair : les jésuites souhaitent que le silence soit brisé et que la lumière soit faite chaque fois qu’un jésuite s’est rendu coupable. Ce n’est pas resté sans effet : en neuf mois, le nombre de témoignages et de jésuites impliqués (pour la plupart décédés) a quasiment doublé. Il n’est pas permis de minimiser, ni de prétendre qu’on ne savait pas. Si le point de vue de la victime actuelle ou potentielle a trop souvent été mis au deuxième plan, ce n’est plus possible aujourd’hui.
Prévenir les abus
Nous avançons aussi en matière de prévention des abus : tout jésuite, mais également toute personne qui travaille dans une institution jésuite, doit connaître les protocoles qui ont été mis en place, il y a déjà quelques années (voir encadré). À la fin du mois de mars 2020, la deuxième édition de nos journées de formation à la prévention contre les abus était sur les rails : 400 jésuites étaient inscrits à ces journées prévues à Lyon, Bruxelles et Paris. Malheureusement annulées pour cause de pandémie, elles seront remplacées par des temps de formation et d’information en communautés.
La prévention est essentielle : nous devons tous être conscients de la confiance infinie qui nous est faite par celles et ceux, adultes et enfants, qui se confient à nous, que ce soit dans l’accompagnement spirituel, dans l’animation ou dans l’enseignement. Et nous devons être à la hauteur de cette confiance.
Cela suppose de parler entre nous : oser parler des risques de mettre la main sur autrui, reconnaître les risques propres à celui qui est en situation d’autorité, risques d’emprise et de pouvoir.
La lutte contre les abus est un vaste et indispensable chantier dans lequel est engagée toute notre Province. Comme l’écrivait le Provincial, le P. François Boëdec sj : Ce travail nous conduit à regarder en face les pages sombres de notre passé. Nous savons combien il est essentiel pour les victimes qui doivent être aidées et encouragées à briser le silence. C’est également une étape indispensable pour que la parole de la Compagnie de Jésus et de l’Église puisse continuer à être crédible dans l’annonce de l’Évangile, dans un monde en recherche de sens, de vérité et de justice. »
P. Thierry Dobbelstein sj, Socius (Assistant du Provincial) de la Province EOF
Notre dispositif de lutte contre les abus
Aider les victimes à parler :
• Une cellule d’accueil et d’écoute : victime-abus.accueil@jesuites.com. Nous proposons aux victimes de rencontrer soit un psychologue de notre cellule, soit un jésuite.
Faire la vérité :
• Si un témoignage implique un jésuite vivant, les autorités judiciaires sont informées. Des mesures conservatoires sont imposées.
• Toute victime est informée du dossier du jésuite incriminé. Elle peut demander à être mise en contact avec d’autres (éventuelles) victimes de ce jésuite.
• Les dossiers « abus » sont numérotés et conservés, et mis à la disposition des autorités compétentes.
Former à la prévention :
• Des protocoles ont été rédigés. Ils sont disponibles sur notre site jesuites.com/contact/en-cas-dabus
• Les jésuites suivent des formations obligatoires : journée de sensibilisation pour les scolastiques, journée de formation pour l’ensemble des jésuites.
Pour nous contacter en cas de situation d’abus sur les personnes
Des situations d’abus sur les personnes se sont produites de la part de jésuites ou de partenaires. La Province d’Europe Occidentale Francophone condamne avec fermeté ces abus passibles de la justice de l’État et punis par le droit interne de l’Église catholique. Rien ne pourra changer si la parole n’est pas d’abord donnée aux victimes et aux témoins d’abus. Aussi la Province d’Europe Occidentale Francophone veille à ce que toute personne victime ou proche de victimes de jésuites (ou de collaborateurs de la Compagnie) puisse être accueillie et écoutée.
La Province EOF veille à ce que toute personne victime ou proche de victimes de jésuites ou de collaborateurs de la Compagnie puisse être accueillie et écoutée. Pour ce faire, un « point de contact » a été créé pour la Belgique francophone et le Grand Duché de Luxembourg et un « Groupe d’accueil et de veille » pour la France.
Pour aller plus loin
> Pour un accompagnement sans emprise, Revue Christus, n° 265 (janvier 2020) – revue-christus.com
> Lire aussi dans Échos jésuites :
Lutte contre les abus : l’action de la Curie générale, Été 2019, p. 30-31.
Lutte contre les abus : où en sommes-nous ?, Hiver 2018, p. 12-13.
Cet article est paru dans la revue Échos jésuites (été 2020), la revue trimestrielle de la Province d’Europe Occidentale Francophone. L’abonnement, numérique et papier, est gratuit. Pour vous abonner, cliquez sur ce lien ou envoyez vos coordonnées (adresse électronique/postale) à communicationbxl[at]jesuites.com.
Droits photos
© Pixabay / G. Schneider
© Pixabay / Anja
© Fondation de Montcheuil
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