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En introduction du numéro d’octobre 2021 de la revue Études, son rédacteur en chef le P. François Euvé sj revient sur la période d’intenses bouleversements politiques et sociaux dans laquelle Ignace a grandi et a créé la Compagnie de Jésus. Comment la vie d’Ignace et la spiritualité jésuite, à travers notamment les préférences apostoliques universelles, peuvent-elles éclairer et guider l’Église aujourd’hui ?
Entre mai 2021 et juillet 2022, les jésuites célèbrent une année particulière qui sera marquée en France par un grand rassemblement à Marseille, à l’occasion de la Toussaint1. Elle célèbre le 500e anniversaire de la conversion de leur fondateur. C’est, en effet, le 20 mai 1521 que le jeune noble basque Íñigo de Loyola, qui prendra plus tard le nom d’Ignace, fut grièvement blessé au siège de Pampelune (Navarre). Cet événement inattendu brisa net d’ambitieux projets de réussite mondaine. Un long temps de convalescence, propice à la réflexion, lui fit découvrir la vie des saints et éveilla en lui le désir de les imiter en changeant complètement de vie.
Cette première conversion ne doit pas occulter une seconde, survenue quelques années plus tard. À la faveur d’autres événements, celui qui rêvait de grands exploits spirituels, qui pensait imiter saint Dominique et saint François, prit conscience qu’il n’avait pas à choisir entre « Dieu » et le » monde », comme si l’accomplissement de la vie chrétienne devait se faire dans un retrait hors du second, sans compromission avec lui. Aussi complexe, ambigu et déroutant soit ce monde, en particulier lorsqu’il se transforme sans que l’on sache si c’est pour le meilleur ou pour le pire, Dieu y reste présent. À charge pour le disciple du Christ d’y discerner cette présence.
Le monde dans lequel vit Ignace est celui de la Renaissance. C’est l’époque de la découverte de nouvelles terres et de nouvelles civilisations. Dans tous les domaines, le fonctionnement des sociétés se recompose radicalement. Les penseurs de l’époque rejettent les catégories anciennes. C’est aussi le temps de la Réforme protestante dont l’ambition était de refonder l’Église du Christ sur des bases plus évangéliques, par opposition avec une Église romaine que l’on voyait encombrée de richesses et de puissance mondaine, sources d’abus en tous genres. Ignace et ses premiers compagnons étaient conscients des dérives de l’Église. Ils pensaient pourtant qu’il était possible de la réformer de l’intérieur, sans rompre le fil de la tradition.
La réforme de l’Église n’impliquait aucun refuge dans un cloître ou une sacristie. Dans la démarche d’Ignace, on peut parler de « conversion au monde », au sens étymologique d’un retournement : se tourner vers le monde, vers les autres, et non plus préférentiellement vers soi, sa communauté ou son groupe d’appartenance. Ce n’est pas à dire que le monde comme tel serait bon ou idéal, une référence à imiter : il reste profondément ambigu. Mais, en perspective chrétienne, il n’y a pas d’autre lieu pour rencontrer Dieu et recevoir sa parole que le monde tel qu’il est. La spiritualité jésuite se caractérise par une « confiance au temps présent » (Maurice Giuliani), c’est-à-dire une confiance dans les capacités humaines, dans les ressources de l’humanité.
Les jésuites actualisent cette tradition en se donnant une ligne de conduite, des « préférences apostoliques universelles » : « montrer la voie vers Dieu à l’aide des Exercices spirituels et du discernement », « faire route avec les pauvres et les exclus de notre monde ainsi qu’avec les personnes blessées dans leur dignité, en promouvant une mission de réconciliation et de justice », « accompagner les jeunes dans la création d’un avenir porteur d’espérance » et « travailler avec d’autres pour la sauvegarde de notre « Maison commune » ». L’accent mis sur l’accompagnement et le travail en commun est une mise en œuvre de l’ »amitié sociale », prônée par le pape François, qui dépasse les clivages convictionnels.
Cela peut entrer en résonance avec le processus synodal qui débute en ce mois d’octobre dans l’Église catholique2. La « crise des abus » qui a secoué l’Église invite à mettre en question un mode de fonctionnement dans lequel une appropriation de l’autorité par les personnes en charge de responsabilités se fait au détriment de celles et de ceux qui leur ont fait confiance. Le schéma « vertical » doit être inversé : donner la parole à « ceux d’en bas », ceux qui, dans la topographie précédente, n’avaient pas « voix au chapitre ». Impliquer tous les membres de l’Église, et non pas seulement la hiérarchie ou les experts théologiens, repose sur la confiance que l’Esprit parle à travers tous, chacun à sa façon. Il reviendra aux membres du synode de faire un discernement, mais à partir de l’écoute confiante d’une parole libre. Personne ne peut prévoir ce qui peut en sortir, car ce sont des libertés qui sont en jeu.
P. François Euvé sj
Source : revue Études
Pour eller plus loin
- Site du rassemblement de la famille ignatienne « Au large avec Ignace », du 30 octobre au 1er novembre 2021
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