Bousculé au cœur même du réel et faire l’expérience du Tout-Autre… Durant l’été 2007, le P. Yves Stoesel sj a participé, à Nuremberg, aux « Exercices spirituels dans la rue (ESR) » qu’un jésuite allemand, Christian Herwartz, proposait depuis plusieurs années. Témoignage.

rueCe que j’y ai vécu, et les témoignages des personnes que j’ai accompagnées par la suite dans ce type de retraite, ont forgé en moi l’intime conviction que la rue, ce lieu où nul n’est « chez soi », où nous sommes tous des « Araméens errants », peut devenir le lieu de l’expérience profonde, au cœur du monde, de la présence de Jésus Christ humble et pauvre.

Mais attention, il ne s’agit pas d’évangélisation dans la rue. Le but n’est pas d’aller annoncer la Bonne Nouvelle dans la rue, ni de vivre les Exercices spirituels de saint Ignace de Loyola tels qu’il les propose dans son livret. Les ESR rejoignent davantage l’expérience originaire d’Ignace pèlerin qui s’est lui-même laissé transformer par l’Esprit dans toutes ses errances.

Sortir du « bien connu »

En effet, une des particularités intéressantes de la rue, c’est qu’elle échappe en grande partie à notre maîtrise. La rue est un lieu en mouvement, difficile à contrôler. Un espace dont nous ne sommes pas propriétaires, un lieu ouvert à tous. Contrairement à nos maisons, où tout est bien ordonné, où nous nous sentons bien protégés, la rue est le lieu des imprévus, du non-programmé… des risques. Un lieu qui nous sort du « bien connu ». Finalement, la rue peut devenir le lieu de la « démaîtrise » : « l’évènement devient alors mon maître intérieur », comme disait Emmanuel Mounier. Alors, des armures, des masques tombent et l’Esprit trouvera peut-être un cœur plus disponible pour faire son travail.

Découvrir mon « buisson ardent »

Bien que l’objectif des ESR consiste à entendre la Parole dans le réel de la vie, nous proposons néanmoins le texte de la rencontre de Moïse au buisson ardent comme support. Par ce moyen, une invitation est faite à porter l’attention aux feux brûlants qui s’allument dans le cœur au contact de la rue. Là, en faisant un détour – extérieur et intérieur – une rencontre en esprit et en vérité adviendra peut-être, avec moi-même, l’autre ou le Tout-Autre.

Déroulement d’une journée

Concrètement, les ESR consistent à vivre un temps de retraite de 3 à 8 jours, non pas en se retirant du monde pour méditer en silence la Parole de Dieu, mais en plongeant au cœur de la vie d’une ville. Chaque journée débute par un temps de mise en route en groupe (pas plus de 6 personnes) à l’écoute de la Parole de Dieu. Ensuite, chaque participant se laissera conduire individuellement dans la ville, là où l’Esprit voudra bien le mener durant la journée. En fin d’après-midi, il revient là où loge l’ensemble du groupe pour un temps de repos, le dîner et un partage en groupe de ce que chacun aura expérimenté.

P. Yves Stoesel sj

Témoignage de Damien (Toulouse)

« Partir tôt le matin quand la ville semble encore endormie. Partir sur des sentiers foulés hier et que l’on croit connaître. Baisser les yeux et voir ses pieds. Se dire : « Dieu dans mes pas ». Relever la tête et faire face à un visage tuméfié. Un visage rempli de sang et au milieu deux yeux. Des yeux bleus clairs. Être transpercé. Oser un bonjour. Et dire « j’aimerais passer la journée avec vous en priant ». Est-ce que cela vous dérange de me dire votre prénom ? – Lyamine, « Celui qui croit », me répond-il. Repartir et penser que sa journée est faite. Repartir chargé, hanté par ce regard de douceur. Puis divaguer, penser à mes proches dont je suis séparé mais que je sens être avec moi. Être porté par la rue, les regards et d’autres rencontres. Repenser à Lyamine, sentir une brise sur la joue. Encore aujourd’hui je porte au fond de moi ces visages : Aristide, sa bière à la main et son psaume 33, Lyamine, ses yeux et sa fille Olympe, Miadalenna et sa fresque d’un homme partagé entre sa nature animale et celle de citadin (photo), Ryan, 12 ans, son ballon et son sourire angélique, le Christ et sa croix. Pendant trois jours, s’être réchauffé la peau au soleil levant sur la place Mermoz. Pendant trois jours, s’être réchauffé le cœur avec Dieu présent dans des regards, des poignées de main et une partie de foot. Avoir voulu imiter Moïse et n’être que Damien. Merci, Seigneur, d’être là au milieu de nous. »

Cet article est issu de la revue Échos jésuites (automne 2017), la revue trimestrielle de la Province d’Europe Occidentale Francophone. L’abonnement, numérique et papier, est gratuit. Pour cela, merci d’envoyer votre mail et/ou votre adresse postale à communicationbxl [at] jesuites.com.

Nos villes d’un cœur brûlant, Les Exercices spirituels dans la rue : livre du P. Christian Herwartz sj aux Éditions Vie chrétienne

Nos villes d'un cœur brûlant, Les Exercices spirituels dans la rueLes Exercices spirituels, initiés par saint Ignace de Loyola, sont généralement pratiqués lors d’une retraite, à l’écart du cadre de vie habituel. Le jésuite allemand Christian Herwartz a eu l’intuition originale qu’ils pouvaient également se vivre au cœur du monde, et en particulier, dans les rues de nos villes, pour peu que l’on tienne son regard et son esprit disponibles pour recevoir les signes de la présence de Dieu. Il arrive alors que, tel Moïse au Buisson ardent, le retraitant découvre dans ces artères urbaines une Terre Sainte inattendue. C’est cette expérience que retrace cet ouvrage polyphonique. Les jésuites Christian Herwartz et Yves Stoesel y exposent les fondements et  la méthode. Leur voix est rejointe par celles de pèlerins de la rue, en France, en Allemagne, au Brésil…, qui témoignent de la fécondité des « Exercices spirituels dans la rue ». > En savoir +

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