Le P. Peter Hans Kolvenbach, préposé général des jésuites de 1983 à janvier 2008, est un homme peu connu des médias et du public. Voici le portrait qu’en dressait le journal La Croix en 2004, et la revue des jésuites d’Amérique du nord National Jesuit News en 1998

 « Le P. Kolvenbach sj, un néerlandais d’Orient » – La Croix – 16-17 octobre 2004

Peter Hans KolvenbachLe P. Peter Hans Kolvenbach est devenu préposé général des jésuites en 1983. Son élection en 1983 avait, à l’époque, surpris. Étant donné la réputation des Néerlandais dans l’Église catholique à l’époque, il pensait n’avoir aucune chance. Surtout, son expérience romaine était limitée, ayant passé les vingt-cinq années précédentes au Proche-Orient, loin des grandes préoccupations de la Compagnie : « C’était la guerre au Liban, et les soucis étaient avant tout de savoir si nous aurions à manger et à boire, si nous aurions ou non de l’électricité », se souvient-il.

S’il a été élu, c’est pourtant que le P. Kolvenbach possédait les qualités nécessaires pour succéder au P. Pedro Arrupe. De fait, cet homme simple et affable, empreint de réserve, polyglotte, spécialiste reconnu des langues orientales et parfait francophone, est aussi un fin diplomate. Autant de qualités qui lui ont valu la confiance de ses compagnons en même temps que de Jean-Paul II pour être élu « pape noir ». Des qualités forgées au fil d’un parcours bien particulier.

Né en 1928 aux Pays-Bas, Peter Hans Kolvenbach a fait ses études dans un lycée technique dirigé par les jésuites à Nimègue. Il en a gardé un regret : être alors passé à côté des grands auteurs. Sa vocation, elle, est née relativement tard : après la guerre, grâce à la lecture du premier chapitre des Exercices spirituels de saint Ignace. Au cours de son noviciat, il fait part de son souhait d’être envoyé en URSS. Ce sera… le Liban, où il est ordonné prêtre en 1961 dans le rite arménien (il porte d’ailleurs toujours la soutane noire des moines de cette Église catholique unie à Rome). Après des études de linguistique en France (il avoue se délecter toujours de la chronique hebdomadaire de La Croix !), il revient dans cette région dont il est un fin connaisseur.

Nommé provincial du Proche-Orient, il devient ensuite recteur de l’Institut pontifical oriental à Rome, avant d’être élu deux années plus tard préposé général. « Je suis là depuis vingt ans, constate-t-il avec humour, et la Compagnie existe encore ! »

Martine de SAUTO, pour le journal La Croix

Interview dans le National Jesuit News – 1998

En septembre 1998, le Père Général avait fêté ses 50 ans de Compagnie. Deux mois plus tard, lors d’une visite aux Etats-Unis, la revue des jésuites d’Amérique du nord National Jesuit News l’a interviewé. Nous reprenons une partie de cet interview :

En considérant vos 50 ans de Compagnie, quelle est la période de votre vie qui vous a donné plus grande consolation ?

Sans aucun doute les 25 années passées au Proche-Orient. Bien que ce soit une des régions les plus explosives de la planète, et spécialement la ville si tourmentée de Beyrouth, j’ai reçu la grâce de vivre, de travailler et de prier avec un peuple très proche des racines du christianisme et des racines de l’Eglise. Les conditions de vie pouvaient être terrifiantes; mais le fait de les partager avec la population les rendaient naturelles et « bibliques ».

Je n’ai jamais demandé d’être envoyé au Proche-Orient – je m’étais offert pour l’Europe orientale mais on peut dire que la mission reçue d’aider le Proche-Orient a changé profondément ma vie, j’espère que ce fut en mieux.

Quels buts vous êtes-vous proposé, lorsque vous avez commencé votre généralat ?

Comme je ne m’attendais pas à être élu Général, je n’avais aucun but précis. La Congrégation générale a choisi un jésuite qui connaissait bien peu du reste de la Compagnie. En pleine guerre du Liban et pendant le temps assez court de mon rectorat à l’institut Oriental à Rome, j’ai vécu en dehors de la tension existant entre le Saint Siège et le Père Arrupe. J’étais également éloigné des problèmes suscités par la sécularisation et la théologie de la libération.

J’éprouve beaucoup de gratitude à l’égard des membres de la Curie qui par leur compétence, leur information et leur clairvoyance m’ont familiarisé avec le reste de la Compagnie. J’ai une dette spéciale de reconnaissance à la 33e Congrégation générale qui dans un bref document m’a offert les orientations de mon généralat. Des événements successifs comme l’Année ignatienne et la 34e Congrégation générale ont approfondi mon désir de considérer la Compagnie comme un corps apostolique et d’aider les jésuites à découvrir que nous sommes les serviteurs de la mission du Christ et que nous devons vivre cette mission explicitement, concrètement et vigoureusement.

Quels obstacles avez-vous dû affronter à l’intérieur et hors de la Compagnie ?

Vivre et travailler en ayant en vue son propre bien-être au lieu de renoncer à la satisfaction personnelle comme moyen de trouver la joie du serviteur de la mission du Christ est évidemment un obstacle. En laissant cela de côté, les difficultés principales ont été et sont d’ordre idéologique : d’une part, refuser de reconnaître que notre époque réclame une autre optique que celle qui prévalait dans les années soixante; d’autre part, la crainte d’être considérés comme dépassés du fait de proclamer et de vivre les valeurs du Christ et de l’Evangile; le manque de courage pour être sincèrement ce que nous prétendons être.

La meilleure tradition de la Compagnie, comme le dit la 34e Congrégation Générale, consiste dans le fait que nous sommes des hommes de l’Eglise sous son pasteur universel et que nous donnons témoignage d’une vie consacrée, en fidélité aux dons de l’Esprit à son Eglise et en fidélité aussi au don – si précieux et si nécessaire – de la spiritualité ignatienne. De la sorte nous serons apôtres de notre temps, disposés à nous mesurer aux défis du prochain millénaire.

Quand je lis et médite le décret 26 de la 34e Congrégation générale – Caractéristiques de notre manière de procéder – qui d’une manière succincte et si persuasive résume les éléments essentiels de la vie du jésuite et que je me rends compte que sous une déconcertante mais enrichissante variété manifestée, par exemple, parmi les délégués de la Congrégation, l’amour personnel pour le Christ est la raison principale de notre affinité, j’ai alors la conviction que même si nous n’arrivons pas encore au but, nous sommes dans le droit chemin ignatien.

Qu’est-ce qui vous a engagé à écrire à tous les jésuites la lettre du 12 mars sur la vie communautaire ?

La lettre sur la vie en commun est le résultat d’une longue étude dans toute la Compagnie. Quelques communautés seulement admettent leur incapacité à se réunir pour la prière et pour échanger leurs idées sur la vie de travail. Bien que l’immense majorité de nos communautés considère cela comme un élément essentiel, positif et utile à la vie religieuse, toutes les communautés sont d’accord pour accepter que dans ce domaine de la vie communautaire il est nécessaire de prendre un nouveau départ.

Dans le contexte de l’angoissante tension actuelle entre la globalisation et l’individualisme, entre la nécessité apostolique de vivre et de travailler dans une société pluraliste et la mission de donner, et d’accentuer, l’identité catholique des institutions ecclésiales, la simple existence d’une communauté religieuse est un témoignage apostolique du commandement nouveau du Christ.

Des hommes très différents, sans aucune tendance à former une communauté, trouvent dans l’amour du Christ la force et le motif pour vivre en amis dans le Seigneur. Quand des personnes provenant de nations, d’ethnies ou de castes en conflit, marquées par des expériences ecclésiales différentes, s’engagent à obtenir l’union des esprits et des cours, elles contribuent par ce fait même à la réconciliation humaine et à l’unité des chrétiens.

Quel conseil donneriez-vous aux novices qui commencent leur vie religieuse, lorsque vous fêtez vos 50 ans de vie religieuse ?

Je les encouragerais à ne pas perdre de vue qu’ils entrent pour faire partie d’un corps apostolique d’amis dans le Seigneur. Leur engagement dans ce corps apostolique de la Compagnie de Jésus plonge ses racines dans l’amour personnel au Christ. Si cet amour personnel du Christ est au centre de leur vie et s’ils se préparent au service de la mission du Christ dans le corps apostolique de la Compagnie, ils seront prêts pour les défis du prochain millénaire et seront capables de répondre avec flexibilité et courage – un courage qui accepte d’énormes risques personnels à suivre les indications de l’Esprit Saint.

> Photo : © Curie générale des jésuites

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